Anonymat : Macron s’attaque à la liberté d’expression




Dans des sorties récentes, Emmanuel Macron a parlé d’interdire l’anonymat sur Internet en prétendant que cela permettrait de lutter contre le harcèlement. Mais est-ce une bonne méthode  ? Ou est-ce que cela permettrait plutôt de limiter la liberté d’expression, et de censurer les minorités  ?

Le 18 janvier, lors d’un de ses «  grands débats  », Emmanuel Macron avait expliqué vouloir une «  levée progressive de tout anonymat  ». Après un rétropédalage de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État chargé du numérique qui tentait de clarifier la position du président (qui aurait voulu ne limiter cet anonymat que pour la démocratie participative), patatras  : Emmanuel Macron en remettait une couche le 7 février, allant plus loin  : «  Moi je ne veux plus de l’anonymat sur les plateformes internet  » [1] Si, à ce stade (comme pour ce qui est d’imposer une neutralité d’État aux journaux), le projet présidentiel paraît encore brouillon, cela n’a pas empêché une députée de la majorité et porte-parole d’En marche, Laetita Avia, de profiter de la libération de la parole de victimes face au harcèlement dans l’affaire de la «  Ligue du lol  » pour asséner sur twitter  : «  L’anonymat sur les réseaux sociaux encourage un sentiment d’impunité pour ceux qui s’autorisent à harceler, humilier et insulter. La loi contre la haine sur internet permettra de mieux lever cet anonymat lorsque ces délits sont commis  ». Qu’importe, qu’en l’occurrence, les harceleurs n’aient, pour la plupart, pas du tout été anonymes.

L’anonymat, un vrai problème ?

C’est, d’ailleurs, un élément assez récurrent dans un certain nombre de cas de harcèlement, propos homophobes, racistes, misogynes, transphobes, antisémites, etc.  : ce n’est pas tant l’anonymat qui permet de libérer la parole que, n’en déplaise à ceux qui parlent sans cesse de «  bienpensance  » et se plaignent de ne plus pouvoir rien dire, l’homophobie, le racisme, la misogynie, la transphobie et l’antisémitisme qui restent malheureusement assez décomplexés. De fait, l’anonymat est très souvent relatif  : beaucoup de personnes sur Facebook utilisent leur nom d’état civil, ce qui ne les empêche pas de harceler ou d’insulter. Même quand il y a usage d’un pseudonyme, l’anonymat est souvent relatif  : dans certains cas, on sait très bien qui est la personne (ce qui est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de collègues, de connaissances, de membres de la famille, etc.), et même quand ce n’est pas le cas, les sites ont pour la plupart moyen d’identifier la personne en cas de poursuites (adresse IP, mail, sans parler du fait que ces plateformes insistent de plus en plus pour qu’on leur fournisse un numéro de téléphone). Si les possibilités de surfer anonymement sur Internet existent (avec Tor, par exemple), les plate-formes comme Facebook ou Twitter font tout pour décourager leur utilisation et pour avoir le maximum de données sur leurs utilisateurs. Pas par volonté de transparence ou pour limiter le harcèlement, mais bien parce qu’il s’agit de leur business model  : avoir le plus d’informations sur leurs utilisateurs, quitte à les obtenir de manière douteuse.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’utilisation d’un pseudonyme est une réelle opportunité pour une partie de la population, qui n’a pas forcément envie que ses parents, ses collègues, son actuel ou futur employeur ou même ses amis soient au courant de tout ce qu’elle peut raconter sur Facebook, Twitter, forum ou blogs. Et ce n’est pas tant pour harceler que justement pour éviter le harcèlement, l’homophobie, etc. Un jeune homo aura sans doute plus de difficultés à parler de ses questionnements ou à trouver du soutien via Internet s’il sait que ses parents ou ses camarades de classe risquent de tomber dessus et de l’identifier. C’est encore pire pour les personnes trans, et notamment parce qu’un élément important de n’importe quel parcours de transition est bien souvent de choisir un nouveau prénom, qui au départ n’est pas reconnu par l’État. De fait, la politique du «  vrai nom  » imposé par Facebook a surtout permis le harcèlement de nombre de personnes trans qui n’avaient pas de documents officiels à leur prénom à montrer au gendarme Facebook. Sur la question du sexisme également, dans un certain nombre de domaines très masculins, des femmes préfèrent avoir un pseudonyme neutre ou masculin pour éviter le harcèlement sexiste, la drague pénible, etc.

Moi, je n’ai rien à cacher…

L’utilisation d’un pseudonyme permet également d’avoir des témoignages d’un certain nom­bre de professions astreintes à la réserve voire au secret (avocats par exemple). Sans même parler des métiers ou activités où l’utilisation d’un pseudonyme est fortement répandue  : artistes, écrivains, etc. Évidemment, l’utilisation d’un pseudonyme peut aussi permettre plus facilement à des syndicalistes ou à des travailleurs d’une entreprise de s’exprimer en limitant le risque
d’être licencié, comme ce salarié d’Amazon licencié pour avoir soutenu les gilets jaunes contre l’entreprise. [2]

Ce n’est donc pas pour rien que le doxxing est une pratique assez fréquente chez les harceleurs. Elle consiste à rechercher et à dévoiler des informations sur la vie privée, telle que son nom d’état civil, son adresse, son numéro de téléphone, etc. C’est souvent le franchissement d’une étape supplémentaire dans le niveau des violences, qui a parfois conduit des victimes à déménager.

La révélation de l’identité, une pratique de harcèlement

La levée de toute forme d’anonymat serait donc du pain bénit pour tous ces harceleurs  : plus besoin de chercher, c’est le gouvernement lui-même qui rendrait accessible ces informations (ou du moins le nom d’état civil, mais à partir de celui-ci, entre les annuaires et autres registres il est très souvent possible d’obtenir une adresse ou un numéro de téléphone) !

Il est bien sûr possible que les sorties malheureuses du président et d’une porte-parole de la majorité soient dues à l’ignorance et à l’incompétence, qu’il ne s’agisse finalement que de méconnaître l’utilisation d’Internet et du harcèlement. Cependant, ne soyons pas si confiant  : les rappels à l’ordre d’enseignants, la volonté du gouvernement d’étendre l’obligation de neutralité, les sorties récentes du même président de la république sur la «  neutralité  » de la presse imposée par l’État, le vote d’une loi restreignant fortement le droit de manifester, la loi sur le secret des affaires, tout cela va dans le même sens  : restreindre la liberté d’expression et renforcer les pouvoirs de ceux qui veulent la museler.

Lise (AL Lyon)

 
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