Lire : Norman Cohn « Les Fanatiques de l’Apocalypse »




Quoi de commun entre le nazisme et le communisme ? C’est autour de cette analogie provocante, sur laquelle plus d’un « penseur » a trébuché, que Norman Cohn fonde la préface de son ouvrage de référence, Les Fanatiques de l’Apocalypse, paru pour la première fois en 1957. Ce classique, republié en 2010 en une très belle édition par la maison belge Aden, se propose avec brio d’étudier les mouvements millénaristes révolutionnaires actifs du XIe au XVIe siècle, comme l’indique son sous-titre.

De la croisade des pauperes à la guerre des paysans allemands, l’historien britannique nous offre une saisissante et érudite vue d’ensemble des mouvements étiquetés hérétiques qui ont secoué l’Europe du bas Moyen Âge pendant près de 500 ans. Cette étude de l’eschatologie chrétienne (discours sur le sort ultime du monde) doit s’entendre dans le sens premier du terme « Apocalypse », c’est-à-dire la révélation, l’établissement d’une société millénariste ou éternelle pleine de félicité. Mais rien n’étant si simple, cet avènement du paradis terrestre doit nécessairement être précédé par une période de troubles et de grands malheurs, creuset d’une purge salvatrice, rédemptrice, ne laissant jouir de l’Eden qui en accouchera qu’une minorité d’élus choisis par Dieu. Ce terrible combat contre le Mal, personnifié par l’Antéchrist, trouve bien évidemment ses racines dans les textes judéo-chrétiens apocalyptiques intégrés à l’Ancien Testament.

Cette vision messianique et eschatologique du déroulement de l’histoire peut effectivement s’apparenter, par certains aspects, aux totalitarismes du XXe siècle, qu’ils se revendiquent du fascisme ou d’un soi-disant communisme. Mais l’intérêt de l’étude n’est pas là.

Norman Cohn s’intéresse à ceux de ces mouvements, loin d’être marginaux, qu’il qualifie de « révolutionnaires ». Car, en effet, derrière le vernis religieux explicable par l’emprise de l’Église romaine sur les mentalités médiévales, beaucoup de ces mouvements devaient leur popularité à la critique de l’autoritarisme de la hiérarchie ecclésiastique ainsi qu’à la mise en avant de revendications sociales allant jusqu’à réclamer l’égalité parfaite des conditions économiques et sociales. La volonté d’un paradis sur Terre en somme, prenant pour modèle le mythique communisme des premiers chrétiens (« Tous les croyants mettent en commun tout ce qu’ils ont. Ils vendent leurs propriétés, ils partagent l’argent entre tous, et chacun reçoit ce qui lui est nécessaire » – Actes des Apôtres 2, 43-46).

L’auteur explique alors cette agitation sociale, qui trouva son point culminant au début du XVIe siècle avec l’aile radicale de la Réforme protestante, par les grands bouleversements – développement pré-industriel et urbain – qui touchèrent l’Europe durant ces quelques siècles. Ainsi, pour citer Marx, « la critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée des larmes dont la religion est l’auréole ».

Julien (AL Strasbourg)

 Norman Cohn, Les Fanatiques de l’apocalypse – Courants millénaristes révolutionnaires du XIe au
XVIe siècle,

éd. Aden, 2010,
473 pages,
28 euros (sur le site de l’éditeur).

 
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