écologie

Déterminisme technique ou choix social ?




Du nucléaire aux OGM, en passant par Internet, les innovations techniques majeures ont profondément affecté les rapports sociaux, d’une manière telle que parfois nous subissons ces bouleversements plus que nous ne les impulsons. La technique ne nous aurait-elle pas échappé ?

Les objets techniques ne se font pas tout seuls, la société les détermine, et ce à deux niveaux. La technique est tout d’abord influencée par l’imaginaire social : elle se nourrit de la culture, des mythes, des schémas de pensée, des désirs. Ces derniers jouent un certain rôle quant à la nature des recherches entamées, des schémas d’interprétation des phénomènes naturels, ou encore des objets techniques réalisés.

L’inventeur d’un objet technique envisage une fonction et un usage donné, qui n’est pas absolument neutre, mais dépend en grande partie de facteurs sociaux, des normes et des valeurs dominantes. La technique est ensuite liée à des choix économiques, commerciaux, ainsi qu’à des décisions politiques, notamment sur les crédits accordés à la recherche et au développement. Les décisions politiques peuvent dépendre de facteurs non techniques ou non économiques, tels que le désir de prestige ou de postérité.

Du courant alternatif à la chaise électrique

Cependant, l’usage ne suit pas toujours la conception. Un procédé technique, ou un objet technique, peut être employé à une fin à laquelle il n’était pas destiné à l’origine. Ainsi, la caméra vidéo n’était pas destinée au départ à des fins policières. Autre exemple : le courant électrique. Pour démontrer le danger du courant alternatif et recommander le courant continu dans le cadre de l’usage commun, Edison administrait des décharges électriques à des animaux. Le courant alternatif se généralisa malgré tout, mais ses démonstrations aboutirent finalement à l’invention de la chaise électrique.

Et puis l’évolution technique est aussi une affaire de choix social. Il existe des choix sociaux souples (concernant une technique ou un produit particulier), et des choix sociaux plus rigides. La rigidité des seconds provient du fait qu’ils ne s’appliquent pas à des objets techniques isolés, mais à des techniques qui fonctionnent les unes avec les autres. Ce fonctionnement d’ensemble s’inscrit généralement dans la durée. Modifier un élément implique parfois de tout changer. C’est par exemple le cas du choix de ­l’énergie thermique et fossile, du chemin de fer et du train, de l’automobile et des routes.

Effets attendus, effets imprévus

La modification de ces techniques, à l’échelle de la société, est possible, mais suppose un effort important, notamment en temps et en énergie dépensée. L’innovation technique, c’est-à-dire la modification d’une partie d’un ensemble technique, faite pour fonctionner avec les autres, de la même manière que l’ancienne technique, est néanmoins possible, et fréquemment utilisée. Par exemple, le remplacement d’une centrale nucléaire par des éoliennes, qui se connectent aux mêmes canaux d’acheminement de l’énergie.

En retour, la technique ne laisse pas la société indifférente. Tout d’abord, une technique produit un ensemble d’effets sociaux. Certains sont volontaires, attendus, d’autres sont imprévus. Les effets volontaires, tout comme les effets involontaires, peuvent être positifs ou négatifs (les effets volontairement négatifs tenant plus de la logique de domination sociale, et seraient peu probables dans le cadre d’une société émancipée). Ensuite, la technique amène l’utilisateur à se plier à un certain nombre d’exigences pour son usage. Une vie sociale où de multiples objets techniques sont présents amène l’individu à adopter un certain style de vie, certaines pratiques. Il n’a à aucun moment choisi cet univers technique.

Dans la continuité de Castoriadis, on pourrait parler ici de « technique héritée ». Ce phénomène est en effet analogue au rapport autonomie/hétéronomie qu’il analyse au sujet des institutions. L’individu se retrouve, dès sa naissance, dans un monde qu’il n’a pas choisi. L’autonomie consiste dans le développement de la capacité d’interroger, et donc de critiquer, de rejeter, ou d’adopter, de s’approprier, ce qui est donné au départ. La réinterrogation des institutions, ne serait-ce que pour les confirmer, fait ainsi partie du projet de société autonome. Dans le cadre d’une démocratie avancée, il pourrait en être de même pour le style de vie technique et les effets sociaux liés à l’introduction de nouveaux objets ou systèmes techniques.

La technique fait partie du social

Opposer technique et social comme deux instances séparées, l’une des deux dominant l’autre, serait une erreur. La technique, comme les institutions, l’économie, la culture, les rapports sociaux, font partie intégrante du social. Choix social et déterminisme technique opèrent comme deux contre-tendances au sein d’un processus d’évolution dynamique. Tout l’enjeu, pour la société, réside dans la possibilité de guider la technique en fonction des besoins sociaux et de la laisser évoluer pour ouvrir de nouveaux horizons, tout en veillant à ce que la technique réponde à quatre critères écologiques fondamentaux : soutenabilité, durabilité, limitation des risques et respect des équilibres naturels.

Une technique libérée de ­l’imaginaire de la domination, au service des besoins de la population, s’inscrivant dans le processus démocratique d’une société auto-instituante, soutenable, durable, protégée des risques et respectant les équilibres naturels, contredit directement la logique capitaliste, bureaucratique, et le pharaonisme moderne.

Le capitalisme, du fait de l’accélération de la production et de la consommation liée aux impératifs d’accumulation marchande, ne peut tenir sérieusement compte des exigences de décroissance qui vont à son encontre. Les choix autoritaires sur les techniques ne peuvent répondre ni aux exigences d’autonomie sociale et politique, ni à celles d’émancipation de la technique quant à l’imaginaire de la domination. Un rapport équilibré et harmonieux, entre technique et société, suppose donc de se débarrasser du capitalisme, de la bureaucratie et de l’État.

Floran (AL Marne)

 
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