Entretien

Noëlle Ledeur (SUD Éducation) : « Une autre école pour une autre société »




L’Éducation nationale est sans conteste le secteur qui s’est le plus mobilisé dans le mouvement social qui vient de secouer la France-d’en-haut. Nous nous sommes entretenus avec Noëlle Ledeur, secrétaire fédérale de Sud Éducation pour faire le point sur ces nombreux mois de lutte.

Alternative Libertaire : Les personnels de l’Éducation nationale (EN) ont mené aux mois de mai et juin un mouvement de grève qui fera date ; peux-tu rappeler brièvement les raisons de la colère ?

Noëlle Ledeur : D’abord, je voudrais rétablir la vérité des faits : contrairement à ce qu’ont dit les médias nationaux, ce mouvement d’ampleur nationale n’est pas né le 6 mai à l’appel des fédérations syndicales de l’EN, ou le 13 mai sur le mot d’ordre de grève interpro.

Depuis novembre 2002, les mouvements de protestation et de grève reconductible n’ont pas cessé dans l’Éducation, initiés par les surveillants (MI-SE) et les Aides-Educateurs (AE, emplois-jeunes) pour tenter de faire échec au projet de création des Assistants d’éducation (nouveaux contrats précaires, de 3 ans maxi, à demi-service) et au licenciement définitif des AE arrivant au terme de leurs 5 ans de contrat.

Et puis, il y a l’annonce de la régionalisation des personnels non-enseignants qui, cumulée à la réforme Fillon du régime de retraites, et à l’annonce du budget en baisse (non-remplacement des départs prévus) achèvent de mettre le feu aux poudres.

Dernier élément et non des moindres : la faiblesse des réponses syndicales alors que l’enjeu est perçu comme infiniment plus important que des revendications catégorielles : l’école, symbole pour toute une société, devient objet de marchandisation, comme ses personnels et les droits sociaux des salariés.

AL : Quel bilan peut-on tirer de ces deux mois de mobilisations ?

Noëlle Ledeur : Ce qui s’est construit progressivement dans ce mouvement des personnels de l’Éducation (et bien au-delà au niveau interprofessionnel) est sans précédent dans l’expérience collective : malgré le corporatisme orchestré par le pouvoir, qui décentralise uniquement les métiers les moins considérés (personnels ouvriers et de service - les TOS -, assistants sociaux, conseillers d’orientation, médecins scolaires), qui licencie les précaires (pions et emplois-jeunes), et malgré le corporatisme syndical.

C’est dans ce sens qu’on peut parler d’acquis du mouvement, et non en termes de satisfaction des revendications, car pour SUD Éducation comme pour les quelque 90 000 TOS, qui seront régionalisés, il ne saurait être question de parler d’« avancées significatives ».

AL : Comment s’est structuré ce mouvement, qui a échappé à l’encadrement des principaux syndicats de l’EN ?

Noëlle Ledeur : Si on peut effectivement parler de mouvement social dans l’éducation, c’est bien parce qu’il s’est structuré indépendamment des appareils syndicaux nationaux et de leurs appels à des journées d’action sans lendemain. Rappelons-nous, pour mesurer le chemin parcouru, de l’immémorial défilé dominical du 8 décembre en guise de mobilisation interfédérale ! Et des grèves ponctuelles d’une journée, en octobre, en décembre, et encore en janvier, en mars, toujours spécifiquement « éduc. nat. », qui ne répondaient pas aux revendications des personnels déjà engagés localement dans la lutte : MI-SE-AE, mouvements de grève reconductible dans les académies de Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rouen-Le Havre, Nantes, Corse, Seine Saint-Denis, La Réunion… engagés à partir de mars sur la base d’AG intersyndicales.

Sous la pression des personnels en lutte et des formes spécifiques d’organisation dont ils se dotent, CoPsy (conseillers d’orientation, psychologues) mobilisés à l’échelle nationale, AG départementales de grève, comités de grève, intersyndicales locales, embryon de coordination des établissements en lutte, les fédérations « représentatives » autoproclamées de l’EN finissent par appeler à la grève reconductible dans tout le pays à partir du 6 mai. Mais en l’absence d’appel interconfédéral sur les retraites avant le 13 mai, les académies du Nord de la France tarderont à généraliser la grève, et il ne restait plus pour les fédés majoritaires de l’EN qu’à ne pas mener la bataille du bac et des autres examens, pour que la grève se délite.

AL : SUD Éducation est apparu comme une force dynamique dans le mouvement de grève reconductible, quel avenir pour le paysage syndical de l’EN ?

Noëlle Ledeur : Il est trop tôt encore pour mesurer les impacts de ce mouvement sur la construction du syndicalisme alternatif dans et hors de l’EN, mais il est sûr que nombre de grévistes ont pu apprécier au cœur même de la lutte le degré d’adéquation entre discours et pratiques syndicales. En cette fin d’année, les adhésions à SUD se concrétisent. Mais par-delà le déclin possible des uns et le renforcement probable des autres, voire les processus de recomposition autour d’un axe réformiste, ce qui reste pour l’instant au cœur des centaines de milliers de grévistes et manifestants, qui ont souvent défilé avec nous et repris nos slogans, c’est ce formidable sentiment de la force de l’engagement collectif, de la réappropriation des luttes, de la justesse de nos combats. Une autre société est possible et avec elle, l’autre école que nous voulons.

Propos recueillis par Clotilde (AL 93)

 
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