Organisation des précaires : le nez dans le guidon




À Rennes, un collectif de salarié-e-s de la restauration rapide s’est créé depuis janvier. La solidarité et l’organisation dans ce secteur font tellement peur au patronat, que le collectif a déjà engrangé une victoire, sans même livrer bataille ! Il prépare la suite.

La restauration rapide, véritable nid d’emplois précaires connaît peu de mobilisations. Ce secteur qui voit un fort turn-over de ses salarié-e-s, emploie majoritairement, sur des postes de standardistes, livreurs ou serveuses, des étudiant-e-s ou des jeunes, la plupart du temps en CDI à temps partiel, et il paraît difficile d’y impulser des luttes.

Pourtant, les motifs de colères ne manquent pas : non-respect des conventions collectives et du code du travail, bas salaires, mépris de la sécurité des employé-e-s, management “ à l’américaine ”, intimidation de la part des managers et boulot stressant sont le lot quotidien.
S’il y a des coups de gueule, ils restent le plus souvent isolés et se limitent à une discussion entre un ou une employé-e polyvalent-e et son/sa supérieur-e hiérarchique. Pourtant, dans ce secteur où la concurrence est extrême, la moindre menace d’unité des salarié-e-s entre les boîtes fait peur au patronat local. La preuve par Rennes.

“ Dangereuse propagande ”

À Rennes, fin janvier, plusieurs livreuses et livreurs de pizzas se mettent en contact par l’intermédiaire de connaissances communes. Vient l’idée d’organiser une réunion, à laquelle sont présentes une dizaine de personnes, salariées dans deux enseignes différentes, Pizza Sprint et Speed Rabbit Pizza. L’envie existe de se manifester, de s’organiser pour revendiquer, mais que faire concrètement ?

Un premier tract est produit, appelant à une réunion la semaine suivante afin de réunir plus de salarié-e-s, et d’un maximum d’enseignes. Le tract est distribué mano a mano par les livreuses et les livreurs dans leurs boîtes, mais aussi durant les livraisons. Lorsqu’on croise un livreur d’une autre boîte, qu’on stationne au feu rouge, on lui tend le tract appelant à la prochaine réunion. En quelques jours, l’info circule largement.

Du coup la réunion suivante se tient avec une quinzaine de personnes de trois enseignes différentes. La motivation a monté d’un cran. La discussion se transforme vite en une comparaison des conditions de travail. Un premier constat s’impose : les conditions de sécurité nécessaires (et légales : casques, gants, état des scooters…) ne sont pas respectées partout. Deuxième constat : les conventions collectives de la restauration rapide, notamment en terme de prime de repas et salissure (entre 30 et 40 euros mensuelles pour un mi-temps) ne sont pas appliquées dans une des enseignes, Pizza Sprint.

Un nouveau tract est rédigé, reprenant les deux principaux constats auxquels s’ajoute une demande de revalorisation salariale, et une dénonciation des discriminations racistes et sexistes à l’embauche dans certaines enseignes. Il est distribué selon les mêmes modalités que le précédant. L’accueil est enthousiaste parmi les collègues. Il l’est évidemment moins chez certains managers qui s’empressent de mettre leurs subordonné-e-s en garde contre cette “ dangereuse propagande ”.
Malheureusement, même si de nombreux-ses collègues s’étaient engagé-e-s à venir, la réunion suivante est un semi-échec : une dizaine de personnes seulement se sont déplacées. Malgré cette déconvenue, nous sommes conforté-e-s par le soutien et l’enthousiasme manifestés par une large majorité des salarié-e-s rencontré-e-s. Mais il nous faut sans doute plus de “ concret ” pour pousser à un début de mobilisation.

Le maillon faible

On décide alors de s’attaquer au maillon faible : Pizza Sprint. D’autant qu’un groupe actif de personnes du collectif y travaille. Dans cette boîte les primes de salissure et repas ne sont pas versées aux salarié-e-s. Un rendez-vous est pris à l’inspection du travail, d’abord au service de renseignement, puis au service “ répressif ”. Entre-temps, la direction de la boîte, mise au courant – de manière inexpliquée – propose une entrevue aux salariés mobilisés “ pour calmer les esprits ”.
La direction promet le règlement des deux primes, avec rétroactivité. Cette rapidité de réaction est sans doute due à la peur de payer, en plus des remboursements, des amendes.

Seulement voilà : en faisant cette promesse, la direction de Pizza Sprint comptait seulement noyer le poisson. Au versement des salaires, les primes de salissures sont effectivement bien versées (entre 30 et 170 euros selon les salarié-e-s) mais pour les primes de repas, le remboursement se fera… sous forme de pizzas !

Nous convoquons alors une réunion d’urgence avec les employé-e-s de la boîte. Malgré la présence d’un manager, venu lui aussi “ calmer les esprits ”, la grève est décidée à l’unanimité sur la boutique Pizza Sprint où le collectif est implanté, pour le lundi suivant.

Un communiqué est envoyé à la presse locale dès le lendemain, laquelle contacte le collectif 10 minutes après réception. S’ensuit une interview pour Ouest-France. Le dimanche, un des salariés de Pizza Sprint est contacté par le “ grand patron ” de son enseigne, qui a reçu un coup de fil de la journaliste qui souhaitait l’interroger. Visiblement effrayé à l’idée que les médias s’en mêlent, il promet le versement d’un acompte, puis du reste de la somme dès la semaine suivante. La revendication a donc abouti, sans même avoir eu le temps de faire grève ! C’est significatif du pouvoir économique des salarié-e-s, notamment dans une situation où les boîtes ont peu de marge de manœuvre, du fait de la concurrence acharnée sur ce marché.

Le collectif entend bien faire connaître cette expérience : l’action collective permet de faire appliquer nos droits et d’en gagner de nouveaux !

Perspectives d’organisation

La première nécessité dans ce secteur est de créer des outils de luttes interentreprises qui permettent de faire appliquer nos droits en menant des actions collectives – communiqués de presse communs, rassemblements, soutien aux grévistes… Malgré des conventions collectives très souples et avantageuses pour les employeur-se-s, ceux-ci négligent de les appliquer, ces vautours ne reculant devant rien pour faire toujours plus de profits.

Demain, pourquoi ne pas mener des luttes offensives ?

La question salariale s’y prête particulièrement. Ce business est en effet extrêmement rentable et les franchisés des grandes marques de pizza gagnent souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, alors que chaque jour et par tous les temps les livreur-se-s, payé-e-s au Smic, risquent leur vie sur la route. Ainsi, la part salariale du patron franchisé représente parfois à elle toute seule, davantage que celle de l’ensemble des salarié-e-s !

Le slogan de redistribution des richesses trouve toute son application concrète ici, en commençant par revendiquer des revalorisations salariales conséquentes.

Si la construction de structures syndicales dans ces entreprises peut faire progresser nos droits, il faut se poser la question de la structuration dans un tel cadre de turn-over. Cela ne peut passer que par le développement de structures interprofessionnelles capables de soutenir la constitution de sections syndicales, et les luttes qui pourraient suivre. Cette problématique en amène une autre : de tels réseaux nécessitent des lieux de convergence pour tous les salarié-e-s précaires, des lieux d’information juridique aussi bien que de structuration.

De ce point de vue, le collectif n’a pas encore réussi à s’inscrire dans un cadre plus large. Lorsque nous avons entamé nos pressions sur Pizza Sprint, nous avons rendu une visite à l’union départementale CGT. L’idée était de syndiquer les principaux animateurs du collectif, un par boîte, afin de les protéger un minimum par un mandat de délégué syndical. Hélas, la CGT nous a simplement fermé la porte au nez, avec des arguments expéditifs laissant entendre que la syndicalisation dans le secteur de la restauration rapide, c’était peine perdue. Cette réaction n’a malheureusement pas étonné certains camarades cégétistes de notre connaissance, bien conscients que leur UD est une des plus droitières de France… Pour nous, ce n’est que partie remise.

L’émergence d’une conscience de classe dans ce nouveau salariat est une des clefs pour le succès des prochaines luttes professionnelles. L’objectif du collectif est aujourd’hui de se renforcer et d’agir. Ce n’est qu’un début !

Tristan et Arthur (AL Rennes)

 
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