Antifascisme : Notre irréversible colère




Le meurtre de Clément Méric s’inscrit dans une montée intolérable de l’extrême droite. Tandis que la droite est à l’offensive pour discréditer la lutte antifasciste, il est urgent d’organiser une riposte durable, de classe et de masse, qui ne s’éteigne pas avec le temps de l’émotion.

L’assassinat de Clément Méric le 5 juin 2013 a été l’insoutenable point d’orgue d’une montée des violences de l’extrême droite, décomplexée par la mobilisation massive contre le mariage pour toutes et tous [1]. La médiatisation dont ce meurtre a fait l’objet n’y a pas mis fin, mais donne lieu au contraire à une surenchère de la part des groupuscules radicaux (voir encadré ci-dessous).

Toutes les agressions n’ont pas fait autant de bruit que celle de Clément Méric, traitée comme un cas isolé. De fait, les violences de l’extrême droite sont régulièrement minimisées par une partie de la droite. On se souvient de Philippe Meunier, député UMP, brandissant une ballerine à l’Assemblée nationale pour prouver que les manifestants souvent belliqueux de la « Manif pour tous » n’étaient pas des « nervis d’extrême droite ». Dans ce contexte, le meurtre de Clément Méric gêne : la droite craint un réveil des consciences antifascistes, mais aussi l’affichage d’une proximité entre certains de ses militants et les groupuscules radicaux. Les Jeunes de la Droite populaire, le courant dur de l’UMP, relaient ainsi sur leur page Facebook une vidéo de soutien à Esteban Morillo, qui a porté le coup mortel. Elle est réalisée par le Comité d’entraide aux prisonniers européens, qui soutient les prisonniers d’extrême droite.

La droite choisit son camp

Une campagne de presse vise maintenant à rejeter la responsabilité de l’affrontement sur les antifascistes. Dans les médias de droite (BFMTV, Le Point, RTL...), la mort de Clément Méric est traitée dans la rubrique « fait divers », avec une photo où il apparaît le visage caché par un foulard, sans doute destinée à exciter le fantasme du « péril rouge ». Le 25 juin, RTL, vite relayée sans vérification par la plupart des médias, affirme sans contrôler sa source qu’une vidéo de la RATP, qu’aucun journaliste n’a visionnée, montrerait Clément Méric « se précipiter dans le dos d’Esteban Morillo ». Vidéo dont la police judiciaire nie l’interprétation et la RATP l’existence même.

Beau travail de journalisme d’investigation, donc, qui vise surtout à renvoyer dos à dos extrême gauche et extrême droite, voire à prendre le parti de cette dernière, et à appuyer le discours de Copé demandant la dissolution des organisations d’extrême gauche. L’objectif est de minorer la gravité d’un assassinat politique, et de marginaliser dans l’opinion de ceux et celles ceux qui n’acceptent pas de banaliser l’extrême droite.

Mobilisation antifasciste

Dès le lendemain de la mort de Clément Méric, les organisations où il militait, l’Action antifasciste Paris-Banlieue et Solidaires Étudiant-e-s, tout comme l’union syndicale Solidaires, ont initié un travail unitaire large pour que « son dernier jour soit le premier d’une riposte antifasciste unitaire sans précédent », pour reprendre les termes de l’appel signé par une partie des organisations à l’origine de la manifestation du 23 juin. Mais le nombre de celles appelant à cette dernière ne peut faire oublier que l’unité, sur ce sujet comme sur d’autres – et c’est la marque dramatique du recul de la conscience antifasciste dans les rangs de la gauche – est un combat.

Alors que des mobilisations avaient lieu dans les autres régions le 22 juin, le 23, 8 000 personnes ont défilé à Paris. Si les cortèges étaient dynamiques et offensifs, si la solidarité antifasciste internationale avait permis que soient présents des Grecs, des Italiens, des Anglais, des Allemands... force est de constater que la colère n’a pas atteint l’ampleur de la mobilisation de 2002, entre les deux tours de l’élection présidentielle, ou de celle qui a suivi l’assassinat de Brahim Bouarram par des militants d’extrême droite.

Urgence

Pourtant, l’urgence est là. Ce qu’il faut à présent, c’est (re)construire des structures pérennes pour agréger celles et ceux qui veulent combattre l’extrême droite dans la rue, sur les murs, ou encore sur internet, où les fascistes instillent quotidiennement leurs idées. Les organisations qui ont appelé à la manifestation du 23 juin se sont engagées à poursuivre ce travail : « Nos organisations se réuniront de nouveau après la manifestation : éradiquer la menace fasciste nécessite un travail dans la durée et l’organisation de collectifs locaux  ».

C’est le véritable enjeu des prochains mois : construire des collectifs antifascistes de classe et de masse dans les quartiers et les entreprises, notamment sur la base de ceux qui se sont constitués ou réactivés dès le choc de la mort de Clément Méric. Leur permettre aussi de coordonner leurs actions, notamment via la Coordination nationale contre l’extrême droite (Conex) qui, à l’initiative de Vigilances et Initiatives syndicales antifascistes (Visa), regroupe plusieurs collectifs et associations.
Objectifs : faire fermer tous les locaux de l’extrême droite, points de fixation pour leurs militants. Mais aussi traquer tout ce qui, dans les politiques actuellement menées, favorise sa progression : la chasse aux sans-papiers, les licenciements, l’austérité... Car c’est évidemment parce que les travailleurs et travailleuses sont acculé-e-s que la vigilance contre l’extrême droite s’étiole. À l’inverse, là où le mouvement social avance, l’extrême droite recule.

Des militantes et militants de la commission antifasciste d’AL

Un mois de haine

20 mai, Argenteuil, une femme voilée de 17 ans rouée de coups par deux skinheads d’extrême droite.

4 juin, Lille, deux lesbiennes agressées après un rassemblement anti-mariage pour toutes et tous.

9 juin, Metz, un homme d’origine sénégalaise poignardé par des militants néo-nazis.

13 juin, Argenteuil encore, une femme voilée et enceinte, frappée et traînée à terre, qui a perdu son enfant depuis.

14 juin, Saint-Jean-de-Braye, près d’Orléans, une femme victime d’une agression islamophobe.

19 juin, Lyon, trois militants agressés alors qu’ils collaient des affiches pour un rassemblement à la mémoire de Clément Méric.

23 juin, Agen, deux jeunes gens frappés à la sortie d’un festival par des membres de Troisième voie.

Et Soral dans tout ça ?

Qualifié-e-s d’« idiots utiles du système et de l’empire », les antifascistes sont une des obsessions d’Alain Soral, qui leur consacre une rubrique sur le site internet de son organisation Égalité et Réconciliation. Dès le lendemain de l’annonce de la mort de Clément Méric, Soral, pourtant adepte des intimidations, a appelé à cesser la violence et à dépasser les divisions, selon lui entretenues par le « système ». Il usait ainsi d’une rhétorique extrême gauche = extrême droite tellement antisystème qu’elle était dans tous les journaux conservateurs. Rhétorique vite remplacée par une insistance sur la violence et la responsabilité des antifascistes, ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on sait que Soral et Ayoub ont fondé ensemble le Local, bar de Troisième voie à Paris, en 2008. Il faut bien défendre ses amis. Preuve, s’il en était besoin, que Soral, c’est bien l’extrême droite, même s’il se présente constamment comme « au delà des clivages ».

Pierre Bebla

 
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