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Décidément la question autogestionnaire fait son retour dans le débat politique – au moins à l’extrême gauche pour l’instant – comme en témoigne le dernier livre sorti aux éditions CNT-RP. De bonne facture, cet ouvrage collectif vaut principalement pour les contributions d’Aimé Marcellan et de Grégory Chambat.

Le premier brosse un historique du concept d’autogestion depuis l’après-guerre. L’idée a certes existé avant le mot, dans la pensée de Charles Fourier, des coopérativistes, des anarchistes ou des syndicalistes révolutionnaires. Mais le terme lui-même est relativement tardif : il s’agirait d’une traduction littérale du serbo-croate, en 1957, époque où l’État socialiste yougoslave a confié un rôle de gestion aux conseils ouvriers. Le terme va ensuite faire son chemin, sous l’impulsion d’intellectuels comme Georges Gurvitch, Daniel Guérin, Michel Raptis, Henri Lefebvre ou Yvon Bourdet, tous marxistes hétérodoxes évoluant vers des conceptions anti-autoritaires, mais aussi de revues comme Socialisme ou Barbarie et Noir et Rouge. Il faut cependant attendre Mai 68 et l’aventure de LIP pour que l’autogestion devienne incontournable. Marcellan évoque alors la « tactique » de la direction de la CFDT qui, entre 1968 et 1978, s’empare d’un drapeau autogestionnaire qu’elle reniera à la première occasion. Il lisse cependant un peu trop l’histoire, en réduisant la CFDT autogestionnaire à un « gigantesque miroir aux alouettes ».

En fait, une double réalité y coexistait. À côté d’une bureaucratie confédérale opportuniste, des dizaines de milliers de cédétistes de base ont vibré sincèrement pour l’autogestion, et l’ont portée dans leurs luttes. Bien des libertaires – ORA, UTCL, Alliance syndicaliste – ont joué un rôle moteur dans cette gauche CFDT fidèle à « l’esprit de Mai ». Marcellan les évoque à peine, préférant s’attarder sur un groupe certes sympathique – la TAC – mais au rôle bien plus anecdotique.

L’autre contribution de valeur est due à Grégory Chambat, qui s’interroge sur les « voies et moyens », et donc notamment l’autogestion des organisations du mouvement social. On l’aura compris, l’enjeu est de poser la question du permanentat dans le syndicalisme, et des risques de bureaucratisation qu’il entraîne. Y a-t-il une alternative aux permanents syndicaux ? Chambat répond en substance que oui, dans « l’effort militant », facilité par les progrès des technologies de l’information, le temps libre, le droit social.

Il s’exonère cependant d’examiner quelques contre-arguments – notamment l’inégalité devant le temps libre, et le caractère aléatoire du pur bénévolat pour assurer l’administration de grandes organisations. Un peu plus loin, ses études sur la « réappropriation de la parole ouvrière » dans la littérature prolétarienne et l’expérience des écoles populaires kanakes (EPK) entre 1984 et 1989 sont remarquables.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

  • Collectif, De l’Autogestion. Théories et pratiques, Éditions CNT-RP, 2013, 15 euros.
 
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