Cartographie : La botte française en Afrique




Où en est le contrôle de son « pré carré africain » par la France ? Comment discerner les mobiles d’interventions militaires désormais camouflées sous des drapeaux européen ou onusien ? A l’occasion de la sortie de son livre, Que fait l’armée française en Afrique ?, Raphaël Granvaud, de l’association Survie, fait le point.

Depuis la fin de la guerre froide, il n’est pas une année sans que la mort de la Françafrique soit proclamée. Du discours de la Baule de Mitterrand en 1990 jusqu’au discours du Cap de Sarkozy l’an passé, les promesses de non-ingérence sont presque aussi nombreuses que les interventions militaires ! En réalité, l’Etat français tente d’adapter la forme de sa domination militaire sur l’Afrique. Car il a compris qu’il fallait en changer l’image pour la faire perdurer.

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Cartographie des interventions militaires françaises en Afrique de 1990 à 2009. © Raphaël Granvaud et Guillaume Davranche

L’impérialisme français tente en fait de se camoufler de diverses façons. Tandis que le nombre de ses bases militaires permanentes continue d’être réduit, l’armée française a augmenté simultanément ses capacités de projection, projection à laquelle sont désormais entraînés tous les corps d’armée, et non plus simplement les ex-troupes coloniales (Troupes de marine et Légion).

La France cherche aussi à parer chacune de ses interventions d’un mandat de l’Onu, même si les opérations coup de poing « à l’ancienne » n’ont pas disparu. Un nouveau mode opératoire est également apparu, avec plus ou moins de succès : associer d’autres pays de l’Union européenne aux interventions militaires afin d’en partager les coûts et d’en masquer l’empreinte tricolore. Sous couvert d’un programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (programme Recamp), Paris continue de faire jouer les armées de certaines dictatures « amies », formées et équipées à la française. Enfin on prépare dans l’opacité la plus totale la renégociation de quelques accords de défense censés inaugurer une nouvelle ère de transparence.

L’examen des principales interventions de ces vingt dernières années (voir carte ci-contre) montre que, derrière la proclamation rituelle d’une « nouvelle politique » de la France en Afrique, les manœuvres diplomatiques parallèles, les coups tordus, le soutien aux régimes autoritaires et les crimes les plus divers n’ont jamais cessé. Depuis la complicité active dans le génocide des Tutsis au Rwanda jusqu’aux compromissions récentes dans les crimes de guerre commis par les armées tchadienne et centrafricaine, en passant par les massacres de civils ivoiriens désarmés commis en novembre 2004, la trop longue tradition des crimes coloniaux n’a pas été abolie.

L’impunité reste permise par un épais brouillard médiatique. Il faut le déchirer pour permettre l’essor d’un vaste mouvement de solidarité avec les populations africaines aux prises avec « notre » armée.

Raphaël Granvaud

  • Raphaël Granvaud est militant de Survie et auteur du livre Que fait l’armée française en Afrique ?, Agone, octobre 2009 (lire la chronique ci-dessous).

CONTRE LA FRANÇAFRIQUE : SURVIE

Survie est une association loi 1901 qui regroupe 1 600 adhérentes et adhérents, et compte
une vingtaine de groupes locaux. La cible principale
de son action : la Françafrique et ses réseaux
politico-mafieux qui sont la colonne vertébrale
du néocolonialisme français en Afrique.

Survie édite le périodique Billets d’Afrique.

http://survie.org/


LIRE : GRANVAUD, "QUE FAIT L’ARMÉE FRANÇAISE EN AFRIQUE ?

Est-elle si loin, l’époque de Kolwezi, quand la France parachutait la Légion sur le sud du Zaïre pour sauver un despote aux abois et affirmer la primauté de ses armes en Afrique francophone ?

C’était il y a 31 ans, et c’était la Guerre froide.

Aujourd’hui que l’URSS ne menace plus son « pré carré », que fait l’armée française en Afrique ? C’est le thème – et le titre – du livre de Raphaël Granvaud.

De l’armée coloniale à l’armée néocoloniale, il étudie l’évolution du dispositif militaire français en Afrique, et le discours qui l’accompagne.
L’avenir, c’est la sous-traitance, avec la formation d’armées supplétives. Quand ça ne marche pas, il reste toujours les bons vieux corps expéditionnaires (au Tchad ou en Centrafrique). Aucune puissance étrangère ne dispose d’autant de troupes prépositionnées sur le continent.

Un des chapitres est consacré à la montée de l’influence chinoise et états-unienne sur le continent, qui perturbe le jeu habituel de la Françafrique. Les Chinois restent pour l’instant prudents. On apprend même que depuis l’an dernier Pékin et Washington négocient un deal pour éviter que le continent devienne un « front de conflit » entre eux.

Un deal dont les États-Unis testent la résistance, en revanche, c’est celui passé avec la France. Même si les deux États restent fondamentalement alliés, c’est l’équilibre de l’alliance qui est sujet à un permanent rapport de forces. Ainsi Washington n’hésite plus à nouer directement des partenariats militaires avec des pays du « champ » français. Paris doit défendre son influence pied à pied, quitte à téléguider certains putschs. En août 2005 encore, Paris n’était pas mécontent de voir le dictateur mauritanien Ould Taya, trop proche de Washington, destitué au profit d’une junte militaire qui lui a aussitôt donné des gages de fidélités. On ne plaisante pas avec la Françafrique…

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

  • Raphaël Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique ?, Agone, octobre 2009, 480 pages, 18 euros.
 
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