Hongkong, le rouleau compresseur de l’OMC




Alors que le sommet de l’OMC se poursuit à Hongkong, au moment où nous bouclons cette édition, nous ne pouvons que constater le silence assourdissant des partisans du oui à la constitution européenne face aux agissements de la Commission européenne qui négocie un accord dévastateur pour les paysanneries européennes et de la plupart des pays du Sud.

Les gouvernements des 149 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont approuvé à l’unanimité, dimanche 18 décembre à Hongkong, une déclaration finale qui "ouvre la voie à l’adoption dans un an d’un accord général de baisse des barrières douanières dans le monde". Le compromis s’est fait sur la base d’un texte négocié tard dans la nuit de samedi à dimanche par le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, membre faut-il le rappeler, du PS français. Cette "déclaration" a été saluée par la presse comme une étape importante dans la construction de la croissance économique qui sera positive, nous dit-on, pour les pays du Sud.

L’agriculture en ligne de mire

D’ailleurs, le document adopté par l’OMC ne détaille-t-il pas des mesures favorables à ces derniers ? Ainsi, les points d’accord affichés concernent : "l’élimination de toutes les formes de subventions à l’exportation pour la fin de 2013" ; "le coton des pays les moins avancés (PMA), essentiellement ceux d’Afrique de l’Ouest, pourra être exporté sans droits ni quotas vers les pays développés, dès 2008" ; "les pays développés [...] offrent un accès aux marchés sans droits de douane et sans contingent pour au moins 97% des produits originaires des pays les moins avancés (PMA), à partir de 2008".

Malheureusement, au-delà des effets d’annonce, les mécanismes mis en œuvre risquent bien de n’être que de la poudre aux yeux. Prenons l’exemple du coton. Rien n’est en effet prévu concernant les quelque 4 milliards de dollars de subventions que Washington octroie à ses cotonniers et qui leur permet de faire chuter les cours du coton et donc d’accroître la pauvreté des producteurs africains. Si les géants de l’agroalimentaire du Brésil ou de l’Australie [1] vont bénéficier de l’ouverture des marchés, ce ne sera pas le cas des paysan(ne)s des PMA.

La Commission européenne, au grand dam de la FNSEA, semble toutefois prête à tourner la sinistre page des "restitutions aux exportations" (c’est-à-dire le bradage sur le marché mondial de ses excédents). Aujourd’hui, par exemple, l’Europe "restitue" 10 % de la production annuelle de beurre (entre 180.000 et 200.000 tonnes par an), ou 400.000 tonnes de viande de bœuf.

Les engagements pris à Hongkong vont donc se traduire, sur le marché intérieur européen par des importations en hausse et des volumes exportés en baisse. Les prix risquent non pas de baisser mais bien de s’effondrer. Les subventions versées dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) étant réalisées "à budget constant", les conséquences sont dès aujourd’hui prévisibles : ce qui c’est passé hier avec le textile va se répéter dans l’agriculture.

Les grandes multinationales de l’agro-industrie européennes ont parfaitement décrypté le message et ont commencé à délocaliser la production agricole. Doux, par exemple, a racheté Frangosul, premier producteur brésilien de volailles, et commence à inonder l’Afrique de l’Ouest avec des volailles produites dans le Mato Grosso.

Cette orientation de la Commission européenne montre où elle situe ses priorités : "les négociations sur la libéralisation des services et sur l’extension des droits de propriété intellectuelle, se mènent dans la plus totale opacité, car c’est là que l’Europe veut marquer des points. L’agriculture est la seule partie visible des négociations, ce qui montre que pour la Commission européenne, il ne s’agit pas d’un enjeu stratégique. Elle utilise l’agriculture comme le torero sa cape rouge [...] Les négociateurs ont décidé, après avoir soufflé le froid jusqu’au 21 novembre, de souffler le chaud. Mandelson est ressorti du dernier Conseil européen des ministres des Affaires étrangères en déclarant qu’il avait arraché une marge de manœuvre supplémentaire sur l’agriculture. Un mois plus tôt, répondant à une interview d’El Pais, ce même Mandelson indiquait froidement que l’Europe doit sacrifier son agriculture au profit de son industrie" (extrait du site Internet de la Confédération paysanne).

Laisser la question agricole aux mains de l’OMC ne conduira qu’à des désastres. La revendication fondamentale avancée par Via Campesina, regroupant un grand nombre de syndicats de paysans, tant dans les pays occidentaux (en France, la Confédération paysanne) que dans les pays du Sud, a pour nom "la souveraineté alimentaire".

En rupture totale avec les orientations libérales de l’OMC, Via Campesina affirme la nécessité de définir pour chaque pays ou groupe de pays les politiques agricoles les mieux adaptées à leur contexte socio-économiques, pourvu qu’elles ne soient pas réalisées aux dépens des populations de pays tiers. La souveraineté alimentaire considère que le rôle des paysans est de nourrir en premier lieu leurs concitoyens. Elle passe donc par le développement et la protection des marchés de proximité. Les pays ou groupes de pays peuvent donc ériger les protections tarifaires nécessaires.

Pour l’Europe, la souveraineté alimentaire passe entre autres par une reconquête de son autonomie en protéine (soja) et une réduction de ses cultures céréalières. La souveraineté alimentaire passe par le développement et la protection d’une agriculture familiale et est liée aux questions de protection de l’emploi et des ressources naturelles (sols, terre, biodiversité, espaces naturels protégés...).

Le mouvement “altermondialiste”, en Chine aussi

Bien que la Chine ait restreint les déplacements individuels de ses ressortissants à Hongkong pendant la durée du sommet de l’OMC, pendant toute celle-ci des manifestant(e)s ont dénoncé les projets de l’OMC. Rassemblant majoritairement des Sud-Coréens, dont beaucoup de riziculteurs, les manifestations s’y sont déroulées dans des conditions difficiles. Ainsi, 900 personnes, dont une trentaine de responsables internationaux de Via Campesina, ont été arrêtées le 17 décembre alors qu’elles faisaient un sit-in devant le centre de Convention. Le lendemain, plusieurs milliers de manifestants défilaient une nouvelle fois à Hongkong, encadrés par un important dispositif policier, pour réclamer la libération des emprisonnés.

En marge des manifestations s’est tenu un sommet parallèle, avec divers séminaires, conférences et autres ateliers. Les débats ont surtout porté sur la démocratie, les droits sociaux et l’environnement en Chine. "Les données de l’environnement sont encore un secret d’État en Chine. On a du mal à connaître toute l’ampleur de la pollution", a rappelé Christine Loh, de Civic Exchange, en s’alarmant du degré de pollution de l’eau et de l’air en Chine dans la région du delta de la Rivière des Perles.
"Chaque fois que les ouvriers se rebellent, les patrons utilisent des gardes de sécurité à leurs ordres, fournis par des sociétés privées qui dépendent de chefs de la police du gouvernement local." Pour Han Dongfang, syndicaliste chinois en exil, qui a fondé en 1994 le China Labor Bulletin, la montée de la contestation en Chine signale qu’un seuil de tolérance a été atteint. "Dans l’histoire de la Chine on a assisté trop de fois à un cycle où les ouvriers et les paysans acceptent l’inacceptable pendant longtemps, pour soudain déboucher sur une explosion violente, voire sur une révolution."

Jacques Dubart (AL Lot-et-Garonne)


<titre|titre=La défense de la souveraineté alimentaire bâillonnée>

Gérard Durand, porte-parole de la Confédération paysanne ainsi que José Reynés, documentariste spécialiste des luttes altermondialistes, ont été arrêtés à Hongkong avec près de 1 000 autres paysans, en majorité des riziculteurs coréen(ne)s, venus manifester contre l’Organisation mondiale du commerce.

Cette manifestation paysanne de 10 000 personnes menée par l’organisation internationale paysanne Via campesina a rencontré tout au long de son parcours un accueil chaleureux de la population de Hongkong.

Les paysannes et les paysans ont décidé de déborder les cordons de sécurité pour s’approcher au plus près du centre de convention afin de faire entendre leur voix et demander aux délégué(e)s de venir vers eux/elles.

Après une nuit de sit-in pacifique à moins de 100 mètres du centre de conférence, la police de Hongkong a procédé à des arrestations massives. Gérard Durand, porte-parole de la Confédération paysanne a été arrêté alors qu’il défendait pacifiquement la souveraineté alimentaire européenne, seule politique agricole susceptible de garantir un avenir aux paysan(ne)s européen(ne)s et aux paysan(ne)s des différentes régions du monde.

Une fois de plus, après Seattle, Doha et Cancun, l’OMC et les gouvernements avec l’appui des forces policières ont muselé l’expression démocratique des paysans.

Cette répression intervient dans un contexte marqué par une répression massive contre les paysan(ne)s chinois(es) qui s’insurgent contre les expropriations qui ont chassé 40 millions d’entre eux/elles de leurs terres ces dernières années. Effrayée par cette mobilisation populaire, la bureaucratie chinoise n’a pour réponse que la seule répression.

À Hongkong, elle a mis une fois de plus ses forces répressives au service de la dictature du capital.

Alternative libertaire demande la libération immédiate de Gérard Durand, de José Reynés et des centaines d’autres militant(e)s paysan(ne)s interpellé(e)s et toujours détenu(e)s.

J. D.

[1Les gouvernements des grands pays agricoles du sud, essentiellement ceux qui composent le groupe de Cairns (17 pays répartis sur 4 continents : Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Afrique du Sud, Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Brésil, ...) veulent un démantèlement complet et rapide des protections qui les empêchent d’exporter librement sur les marchés européens et américains leur production agricole. En échange, ils sont prêts à offrir des concessions importantes sur les services (libéralisation des grandes surfaces, des télécoms, des banques, des assurances, de l’eau, de l’environnement).

 
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