Lire : Georg K. Glaser, « Secret et Violence »




Les éditions Agone ont traduit de l’allemand et réédité en janvier Secret et Violence,, le magnifique ouvrage d’un ancien camarade, Georg K. Glaser. Un livre profondément humain et sensible, dans l’atmosphère saturée d’angoisse et de rage de l’Allemagne des années « rouge et brun ».

On rencontrait de tout, dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt, à la fin des années 1940. Des Maghrébins démobilisés des Forces françaises libres, des jeunes ouvriers sortis de la Résistance, des vieux ouvriers porteurs de la mémoire de Juin 36, des anarchistes espagnols ou bulgares, des antifascistes italiens, un trotskiste roumain, et surtout une multitude arrogante de staliniens patriotards… Une noria de déracinés, réfugiés, déclassés, venus des quatre coins de l’Europe et de la Méditerranée, viennent alors nourrir le ventre de la bête. Pour quelques années, quelques mois, quelques semaines. Rarement pour une vie entière. Certains n’y font qu’un passage avant d’aller trouver à s’employer ailleurs.

C’est le cas de Georg K. Glaser, qui a travaillé quelques mois sur les chaînes en 1948. Agé de 38 ans à l’époque, Georg Glaser est un ancien communiste allemand, réfugié en France à l’avènement de Hitler. À la fin de la guerre il adhère à la Fédération anarchiste [1], qui vient de se constituer. Il milite dans le groupe des Ve-VIe arrondissements, où il côtoie quelques personnalités : Giliane Berneri, la fille de l’anarchiste italien assassiné par les staliniens à Barcelone en 1937 ; André Prudhommeaux, alors secrétaire de rédaction du Libertaire, et Gil Devillard, un des animateurs de la grande grève de Renault en 1947.

Un passé fascinant

« Un stalinien de l’usine l’a un jour traité de “sale Boche”, se souvient Gil. Glaser lui administra une bonne correction mais ne s’arrêta pas là. Il remonta toute la hiérarchie du PCF à Billancourt pour obtenir des excuses, et il les obtint ! Il avait une carrure de forgeron, et quand il cognait, ceux qui recevaient des taloches devaient sûrement s’en souvenir ! Il nous racontait les expéditions que les groupes de choc du PC allemand organisaient contre les nazis. La bagarre de ces communistes allemands avait quand même de l’allure ! »

Lorsque le groupe du Ve-VIe arrondissement de la FA se rebaptise groupe « Sacco-et-Vanzetti » une petite fête est organisée dans une salle de la Mutualité. Glaser enchante ses camarades en entonnant les superbes chants antinazis des années 1920. « Nous ne comprenions pas les paroles, mais que ces chants avaient de la gueule ! », s’enthousiasme Gil.

L’exilé d’outre-Rhin a effectivement derrière lui un passé fascinant. Et, alors qu’il travaille chez Renault, Georg emploie ses nuits à mettre la dernière main à la grande œuvre littéraire de sa vie : un roman autobiographique. Le manuscrit est prêt dès 1948, mais il faut attendre 1951 pour le voir publier en allemand et en français sous le titre Secret et Violence, chronique des années rouge et brun (1920-1945).

Vivre à toute vapeur

La jeunesse de Glaser est celle de tant d’autres dizaines de milliers qui, comme lui, ont vingt ans en 1930, et tracent leur route au milieu d’une Allemagne naufragée. De ce point de vue, Secret et Violence n’est pas sans faire penser au Sans patrie ni frontière de Jan Valtin. À la différence que Glaser a accouché d’une grande œuvre littéraire là ou Valtin a, pour l’essentiel, composé un – poignant – témoignage historique. Plus qu’un récit d’aventures, l’auteur s’est attaché à livrer, avec une écriture méticuleuse, toute la complexité de ses sentiments et de ses passions, avec une sensibilité à fleur de peau.

Dès l’adolescence, l’auteur, qui a fui la terreur d’un père haï, entame la vie de vagabondage qui est alors le lot quotidien de dizaines de milliers de jeunes Allemands misérables. Après avoir hésité à rejoindre les anarchistes, il devient « un soldat du monde à venir », et adhère au Parti communiste. Un univers dans lequel on vit à toute vapeur : exaltation militante et rêverie soviétique, camaraderie fiévreuse, boulimie de littérature et premiers écrits, amour insatiable des femmes et sanglantes bagarres contre les flics et les nazis, qu’il affronte avec la rage supérieure de quelqu’un qui se vit comme un « jeune officier de la future armée rouge de l’Allemagne ».

« Nous souffrions moins que les autres, écrit-il, car nous n’espérions plus aucun bonheur, aucune carrière. Nous avions finalement rompu avec la vieille société et, jusqu’à l’avènement des temps nouveaux, nous étions en vacances dans le royaume de la misère. » La fuite en avant fanatique du Parti communiste en 1933, s’illusionnant lui-même à coups de « slogans insensés », son effondrement matériel et moral laissent Glaser désemparé, et entraîneront une douloureuse rupture. Puis viendront l’exil, la guerre, l’emprisonnement. L’écrasement du Reich en 1945 sonne la fin du cauchemar mais également l’annihilation de « tout ce qui jadis nous avait été cher, notre jeunesse et notre avenir, nos rêves et notre force ».

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

  • Georg K. Glaser, Secret et violence, Chronique des années rouge et brun (1920-1945). Réédition traduite de l’allemand par Anacharsis Toulon, Agone, 2005. Préface d’André Prudhommeaux (1951).

[1Il s’agit de la Fédération anarchiste dite « de 1945 », qui unifie le mouvement libertaire et d’où sont issues, indirectement, les actuelles FA et AL.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut