Antipatriarcat

La place de l’UCL dans le mouvement trans




Lors du second congrès de l’Union communiste libertaire en 2023, nous avons voté une motion d’orientation politique nommée « Pour une contre-offensive trans », disponible sur notre site internet. En voici la seconde partie dans une version écourtée et retravaillée pour le journal, qui vient détailler nos positions.

Le mouvement militant trans est traversé de différences idéologiques et stratégiques. On distingue en particulier deux grilles d’analyse majeures : les modèles queers, et les modèles matérialistes. Il importe de nous positionner en tant qu’organisation révolutionnaire et de préciser de quel matérialisme nous nous revendiquons exactement.

Pour une analyse matérialiste non dogmatique

La prise en compte des vécus trans a mené à une fracture au sein du féminisme matérialiste. Une partie du mouvement aujourd’hui dénommé TERF (pour « féministes radicales excluant les personnes trans ») a tenté de justifier par une analyse matérialiste des positions transphobes. Nous affirmons que ce mouvement a essentialisé son analyse et est de ce fait entré en contradiction avec des principes de base du matérialisme.

Il prône une origine biologique et non sociale de l’oppression des femmes, et insiste sur le caractère indépassable de la « socialisation primaire », c’est-à-dire des comportements inculqués dans la jeune enfance. Au contraire, l’analyse actuelle de l’Union communiste libertaire est de considérer deux classes de sexe, « hommes » et « femmes », auxquelles est assigné chaque individu par un mécanisme social, imposé par la société. Cette assignation n’a pas lieu qu’une seule fois à la naissance mais tout au long de la vie, à chaque interaction sociale. Les classes de sexe permettent l’exploitation de la classe des femmes par celle des hommes, et la société patriarcale impose pour ce faire leur binarité et leur rigidité.

Les personnes trans sont opprimées spécifiquement par le patriarcat car elles contreviennent à ces principes. Le processus même de mobilité de classe – devenir des transfuges de classe de sexe – est un affront à la binarité du système. La transphobie est l’oppression punissant ces affronts. Les femmes trans en particulier voient leur position sociale se dégrader dès les premières démarches de transition et sont soumises à la transmisogynie par intersection de la misogynie et de la transphobie. Les hommes trans sont eux soumis à des logiques d’infantilisation.

Les luttes trans font donc partie intégrante des luttes antipatriarcales, et les femmes trans font partie intégrante des luttes féministes. Nous rejetons les positions essentialisantes. Nous analysons que la place de chaque individu dans le système d’oppression patriarcal ne dépend pas de sa biologie ou de sa socialisation passée, mais de sa position sociale présente. Nous respectons et aidons les personnes trans dans leur transition en les considérant de leur genre souhaité. Notre lutte vise à abolir ce système et ses classes de sexe.

Une partie du mouvement trans se revendiquant lui aussi souvent du matérialisme prône que la transidentité est une affection mentale pour laquelle la transition médicale est le remède. Cette tendance, dénommée transmédicalisme, milite généralement pour le maintien de la psychiatrisation des parcours de transition : elle est plus stratégique qu’idéologique, l’idée étant de présenter la transidentité d’une manière qui la rendrait plus acceptable par le système patriarcal.

Si nous sommes sensibles aux craintes et aux stratégies individuelles des personnes trans pour obtenir l’accès aux soins, nous rejetons le transmédicalisme en tant que stratégie politique. Nous jugeons en effet qu’elle ne saurait nous protéger ni du backlash réactionnaire ni du patriarcat dans son ensemble, qu’elle ne permet pas de combattre. La dépsychiatrisation est pour nous une revendication centrale des luttes trans.

Pour un travail unitaire apaisé

La majorité du mouvement trans adopte des grilles d’analyse issues des théories queers. Nous avons des points d’accord mais aussi des désaccords politiques avec celles-ci, qu’il convient de clarifier pour permettre le travail commun. Les organisations trans placent une grande partie de leur énergie sur les besoins urgents et vitaux des personnes trans à travers l’entraide et l’accompagnement, ainsi qu’au soutien moral et à la création d’espaces de sociabilité. Il s’agit d’un travail titanesque, qu’il nous revient de saluer et de soutenir. Cette priorité tout à fait logique mise sur les besoins immédiats de la communauté trans peut justifier un accent porté sur les individualités. En tant qu’organisation politique, l’Union communiste libertaire n’a pas vocation à se substituer aux espaces d’entraide qu’elle doit soutenir de l’extérieur.

Notre objectif est de pousser la société à évoluer vers l’acceptation et l’intégration des personnes trans jusqu’à l’élimination du système d’oppression patriarcal. Sur ce champ d’action, nous considérons que les logiques individualisantes sont préjudiciables : nous avons besoin de créer du collectif sur la base d’expériences partagées. Cela implique de faire vivre des contre-pouvoirs larges et démocratiques. Cette position n’est pas antinomique à la reconnaissance de la diversité des parcours de transition. Ce n’est pas notre rôle de juger la « légitimité » de telle ou telle identité. Notre analyse se base sur les conditions matérielles d’existence : nous nous battons pour toutes les personnes dont les conditions matérielles sont affectées par la transphobie.

Une autre source de tension courante entre stratégies queers et matérialistes est l’utilisation du vocabulaire. Les modèles queers proposent que chacune choisisse les étiquettes qui lui correspondent (en termes d’identité et d’orientation sexuelle) dans une perspective de « déstabilisation » du genre, et d’émancipation personnelle. À l’UCL, notre grille d’analyse et le vocabulaire que nous utilisons sont différents. Sans remettre en cause le principe d’autodétermination, nous partons de la transition comme d’un fait social, puis nous étudions les logiques d’oppression que cela engendre. Notre vocabulaire désigne donc les personnes touchées structurellement par ces oppressions.

Nous avons mis en avant ici notre démarche et nos désaccords afin de clarifier notre positionnement, non pas pour tracer une ligne avec les autres orientations politiques, mais au contraire pour permettre le travail commun avec elles en connaissance de cause. Plus que jamais, nous avons besoin d’être unies.

Commission antipatriarcat de l’UCL

 
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