Entretien

Sur l’auto-organisation en Décembre 95




« Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une AG de gré­vistes. Ce n’est pas une réunion d’information orga­ni­sée par les syn­di­cats, c’est bien un moment où cha­cun et cha­cune doit pou­voir se sen­tir suf­fi­sam­ment à l’aise pour par­ler, pour pro­po­ser, pour cri­ti­quer, pour déci­der. » Vingt ans plus tard, le point de vue de deux témoins des grèves de Décembre 95.

Alternative libertaire publie un extrait d’un long entretien paru sur Critique-sociale.info

Il y a vingt ans se dérou­lait l’une des plus puis­santes luttes sociales qui ait eu lieu en France au cours de ces der­nières décen­nies. En novembre et décembre 1995, des mil­lions de gré­vistes et de manifestants se mobi­li­saient notam­ment contre le pro­jet du pre­mier ministre Alain Juppé de contre-réforme des retraites. [...]

Critique sociale : Quelles ont été les pra­tiques d’auto-organisation là où tu étais, auxquelles tu as participé ?

Christian Mahieux

Chris­tian Mahieux : En 1995, j’étais che­mi­not à la gare de Lyon, où je bos­sais alors depuis 19 ans. J’étais un des ani­ma­teurs du syn­di­cat régio­nal CFDT, majo­ri­taire à la gare de Lyon. Je donne ces quelques éléments, pour situer d’où je parle à pro­pos de la grève recon­duc­tible de novembre-décembre 1995.

A la SNCF, ce n’est pas 1995 qui a mar­qué l’apparition (ou le retour) à des pra­tiques d’auto-organisation de la lutte. Neuf ans plus tôt, les trois semaines de grève de décembre 1986-janvier 1987 avaient per­mis d’imposer une rup­ture nette avec un sys­tème où la grève était deve­nue depuis long­temps l’affaire des syn­di­cats, voire même des seules fédé­ra­tions syn­di­cales dès lors qu’on par­lait de mouve­ment national.

La grève de 1986-1987 se situe dans une période de forte ten­sion sociale : mou­ve­ment lycéen et étudiant contre la loi Deva­quet, assas­si­nat de Malik Ous­se­kine par la police, grève des agents com­mer­ciaux de la SNCF puis grève des agents de conduite, qui se trans­forment rapi­dement en grève intercatégorielle sur l’ensemble de l’entreprise.

L’important acquis de 1986

De sa pré­pa­ra­tion à sa conclu­sion, ce mou­ve­ment est placé sous la responsabi­lité des assem­blées géné­rales de gré­vistes ; c’est un acquis important qui se retrou­vera « natu­rel­le­ment » lors du démar­rage de la grève 1995, avec une dif­fé­rence de taille : en 1986, si les col­lec­tifs CFDT-cheminots sont sou­vent à l’initiative du mou­ve­ment, les mili­tants et mili­tantes CGT com­battent la grève dans ses pre­miers jours puis s’y insèrent de manière fort mal­adroite vis-à-vis des assem­blées géné­rales ; en 1995, du côté de la CGT la leçon a été retenue.

Cette pra­tique des assem­blées géné­rales est bien sûr essen­tielle. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une AG de gré­vistes. Ce n’est pas une réunion d’information orga­ni­sée par les syn­di­cats, c’est bien un moment où cha­cun et cha­cune doit pou­voir se sen­tir suf­fi­sam­ment à l’aise pour par­ler, pour pro­po­ser, pour cri­ti­quer, pour déci­der.

En 1986-1987 comme en 1995, la quasi-totalité des AG au sein de la SNCF se font sur la base du col­lec­tif de tra­vail : le dépôt, l’atelier, la gare, le chan­tier de ventes ou de manœuvre lorsqu’il s’agit de gros établis­se­ments. C’est à cette échelle qu’on a réel­le­ment des AG. Il ne s’agit pas de « mee­tings » où les porte-paroles des syn­di­cats, fussent-ils des repré­sen­tants ou repré­sen­tantes locaux, donnent les nou­velles, appellent à recon­duire le mou­ve­ment ou à l’arrêter, avant que la démo­cra­tie se limite à lever la main pour approu­ver ce qui vient d’être dit.

Mul­tiples ini­tia­tives auto­gé­rées

C’est cette pra­tique de véri­tables assem­blées géné­rales où chaque gré­viste peut aisé­ment trou­ver sa place qui per­met une appro­pria­tion de la grève par les gré­vistes ; d’où les mul­tiples ini­tia­tives auto­gé­rées, par­fois for­ma­li­sées sous forme de « com­mis­sions » : pour la revue de presse quo­ti­dienne, pour les repas, pour les pro­po­si­tions d’actions, pour les liens avec les autres AG, etc. C’est de là que se feront « natu­rel­le­ment » les occu­pa­tions de locaux durant le temps de la grève : il s’agit alors de se réap­pro­prier col­lec­ti­ve­ment les lieux de la grève, qui sont aussi ceux qui cor­res­pondent au champ de l’AG, au cadre connu car fré­quenté quo­ti­dien­ne­ment depuis des années.

C’est ainsi qu’en novembre-décembre 1995, à la SNCF, beau­coup de direc­tions locales ont été, soit expul­sées, soit mises de côté, durant tout le mou­ve­ment ; des endroits stra­té­giques (com­mande du per­son­nel rou­lant, postes d’aiguillage, gui­chets, etc.) ont été occu­pés dès les pre­miers jours de la grève. Tout ça s’organise à par­tir du col­lec­tif de tra­vail, devenu col­lec­tif de grève ! Ça me parait impor­tant d’insister sur ce point : depuis 1986 et 1995, il n’est plus ques­tion pour les orga­ni­sa­tions syn­di­cales appe­lant à la grève de com­battre, du moins ouver­te­ment, l’existence des assem­blées géné­rales ; mais trop sou­vent elles se trans­forment en cari­ca­ture d’AG de gré­vistes, d’AG de tra­vailleurs et de tra­vailleuses déci­dant et coor­don­nant leur lutte.

« L’animation auto­ges­tion­naire des luttes consiste à orga­ni­ser cette démo­cra­tie ouvrière, à la défendre »

Quelle que soit l’organisation poli­tique à laquelle ils et elles se réfèrent, celles et ceux qui consi­dèrent que la classe ouvrière n’est pas en capa­cité de défi­nir et mener poli­tique et luttes auto­nomes, ne sup­portent pas les vraies AG, repré­sen­ta­tives, démo­cra­tiques, déci­sion­nelles. A contra­rio, l’animation auto­ges­tion­naire des luttes consiste à orga­ni­ser cette démo­cra­tie ouvrière, à la défendre : la pra­tique de l’Assemblée Géné­rale quo­ti­dienne en est une des bases. Elle ne résout pas tout, d’autres points méritent une atten­tion par­ti­cu­lière, notam­ment la coor­di­na­tion du mou­ve­ment à l’échelle natio­nale, les liens inter­pro­fes­sion­nels loca­le­ment, etc.

Une des nou­veau­tés de 1995 est la géné­ra­li­sa­tion des liens directs entre salarié-es de sec­teurs dif­fé­rents : piquets de grève com­muns, délé­ga­tions réci­proques dans les AG, départs com­muns pour les mani­fes­ta­tions, étaient deve­nus pra­tiques cou­rantes entre cheminot-es, postier-es, enseignant-es, étudiant-es…

Res­pon­sa­bi­li­sa­tion indi­vi­duelle dans la défense des acquis

Je ne sais pas si on peut par­ler d’auto-organisation à ce pro­pos, mais la réus­site de 1995 chez les che­mi­nots et les che­mi­notes, le rejet mas­sif du recul de l’âge de la retraite, se sont aussi appuyés sur le fait que nous avions su faire vivre une tra­di­tion ins­crite dans la culture ouvrière che­mi­note : celle du rejet des col­lègues ne par­tant pas à l’âge « nor­mal » de départ en retraite (50 ans pour les agents de conduite, 55 ans pour les autres). Cette res­pon­sa­bi­li­sa­tion indi­vi­duelle dans la défense des acquis et la lutte contre le chô­mage des jeunes a été un élément déter­mi­nant d’une défense collective.

L’éclatement de la CFDT à l’occasion de cette grève ne peut être passé sous silence lorsqu’on parle d’auto-organisation. Pas­sons sur la ligne majo­ri­taire (de peu) dans la confé­dé­ra­tion qui abou­tit au sou­tien au plan Juppé dès la mi-novembre ; mais dans l’opposition CFDT de l’époque, deux cou­rants se sont rapi­de­ment déga­gés : l’un a pri­vi­lé­gié la bataille d’appareil, l’autre a fait le choix de sou­te­nir la base des syndiqué-es qui, mas­si­ve­ment, reje­tait désor­mais ce sigle et cette orga­ni­sa­tion syno­nymes de tra­hi­son.

Et ce n’est pas par hasard si dans les syn­di­cats SUD nou­vel­le­ment créés dès jan­vier 1996, les désaf­fi­lia­tions de la CFDT les plus mas­sives furent le fait de syn­di­cats où depuis des années les désac­cords avec la ligne confé­dé­rale étaient ouver­te­ment débat­tus et par­ta­gés avec tous les syndiqué-es, et non trai­tés par les seuls « diri­geants » du syndicat…

Critique sociale : A ton avis, qu’est-ce qui a man­qué au mouvement ?

Christian : Dès le pre­mier jour, les che­mi­nots et les che­mi­notes ont vécu le mou­ve­ment comme une lutte ouverte à d’autres. Tant mieux si d’autres s’y joi­gnaient, sinon il fal­lait au moins gagner sur nos objec­tifs. Le « contrat de plan État-SNCF » posait la ques­tion du ser­vice public, de la lutte pour l’emploi, de la déser­ti­fi­ca­tion du ter­ri­toire ; la défense des retraites et de la pro­tec­tion sociale ren­voyait au refus de la régres­sion sociale, qui plus est, dans un pays qui s’enrichit.

L’élargissement pou­vait se faire sur deux plans :

  • Le tissu inter­pro­fes­sion­nel et asso­cia­tif dans les dépar­te­ments, les régions, à tra­vers le contrat de plan ; cela ne se fit pas.
  • Les tra­vailleurs et tra­vailleuses des autres sec­teurs, pour la défense des retraites et de la pro­tec­tion sociale. L’extension s’est faite, mais limi­tée aux salarié-es en tra­vail posté et rou­lant du sec­teur public. Le rôle des confé­dé­ra­tions syn­di­cales n’est pas étran­ger à cette fai­blesse, la bana­li­sa­tion de la « grève par pro­cu­ra­tion » et le recours aux seules mani­fes­ta­tions sans orga­ni­ser une grève géné­rale inter­pro­fes­sion­nelle, ont pesé.

Et puis, comme sou­vent, une par­tie des ani­ma­teurs et ani­ma­trices de la grève ne vou­lait pas fran­chir un cap sup­plé­men­taire, celui de la rup­ture poli­tique avec le sys­tème en place, sous pré­texte d’une absence d’alternative poli­tique cré­dible à court terme… « l’alternative poli­tique » étant conçue sous la seule forme de vic­toire élec­to­rale dans le cadre des ins­ti­tu­tions de la bour­geoi­sie. Encore la ques­tion de l’autonomie de la classe ouvrière, de sa propre capa­cité à construire son ave­nir, du débou­ché poli­tique aux luttes dont elles sont por­teuses par elles-mêmes…

Mais comme tou­jours, les res­pon­sa­bi­li­tés ne sont pas seule­ment « ailleurs ». Le rap­port de forces créé par trois semaines de grève avaient per­mis des négo­cia­tions locales sur le nombre de jour­nées de grève non payées, mais aussi par­fois des acquis plus impor­tants : c’est ainsi que quelques jours après la fin de la grève, par la seule menace de remettre ça en gare de Lyon, nous avons obtenu l’embauche de 10 jeunes dont le syn­di­cat a direc­te­ment trans­mis les dos­siers. Les patrons avaient peur, nous n’avons pas su gar­der cet avan­tage dans la durée…

Critique sociale : Quelles leçons de novembre-décembre 1995 pour les luttes d’aujourd’hui et de demain ?

Christian : Des leçons récur­rentes : le besoin d’unité ouvrière, la néces­sité d’un syn­di­ca­lisme de lutte, indé­pen­dant, inter­pro­fes­sion­nel, inter­na­tio­na­liste, anti­ca­pi­ta­liste, de masse, la bataille pour l’autonomie et la démo­cra­tie ouvrières, dans les luttes mais pas seule­ment… Mais plus que des leçons, savoir s’appuyer sur nos expé­riences, mémoires et acquis col­lec­tifs, tout en res­tant ouvert à l’inattendu !


ANTOINE : AUTOMNE 1995
À L’UNIVERSITÉ DE PAU,
UN SUC­CÈS CONSTRUIT À CONTRE-TEMPS

Pen­dant le mou­ve­ment social de l’automne 1995, je suis étudiant à l’université de Pau. Pas (encore) syn­di­qué, j’ai pour­tant par­ti­cipé acti­ve­ment, les années pré­cé­dentes, à deux mobi­li­sa­tions mar­quantes : le rejet du pro­jet CIP (contrat d’insertion pro­fes­sion­nelle, vite renommé « SMIC-jeunes ») du gou­ver­ne­ment Bal­la­dur, en février/mars 1994 ; puis les grèves étudiantes contre le rap­port Laurent en mars 1995.

Ces deux mou­ve­ments étudiants impor­tants (plu­sieurs semaines de grève à chaque fois, près de la moi­tié des étudiants en manif) auront une influence cru­ciale sur le mou­ve­ment de l’automne 1995 à Pau. Pour beau­coup d’étudiants, cette grève qui s’étale de fin octobre à début décembre sera sur­tout per­çue comme le troi­sième acte d’un même mou­ve­ment de contes­ta­tion uni­ver­si­taire. Une conti­nuité qui va per­mettre une mobi­li­sa­tion rapide et effi­cace, tout en éloi­gnant peut-être les étudiants des enjeux natio­naux interprofessionnels.

L’expérience des luttes

Quand les pre­mières assem­blées géné­rales sont convo­quées dans les cou­loirs de la fac de lettres de Pau, fin octobre 1995, elles ne sur­prennent guère que les « nou­veaux », arri­vés dans les amphis depuis quelques jours. Pour ceux qui ont déjà fré­quenté cette fac plu­tôt remuante, rien de sur­pre­nant : les affiches, AG et manifs ont rythmé les deux pré­cé­dentes années uni­ver­si­taires. Et dès les pre­mières assem­blées géné­rales, les étudiants sont nombreux.

Il faut dire que le contexte palois est très favo­rable. Le cam­pus a déjà vécu deux mou­ve­ments fes­tifs et vic­to­rieux : début 1994, le SMIC-jeunes avait été aban­donné par le gou­ver­ne­ment Bal­la­dur, et un peu plus tard, le rap­port Laurent rangé dans les pla­cards du minis­tère. Le sou­ve­nir de ces suc­cès est encore très pré­sent chez de nom­breux étudiants qui sont de retour sur le cam­pus à l’automne 1995.

Dès les pre­mières AG, beau­coup retrouvent avec plai­sir la même ambiance, les mêmes visages, et les mêmes pra­tiques de lutte : assem­blées géné­rales quo­ti­diennes et sou­ve­raines, pas de comité de grève, pas de porte-parole per­ma­nent, pas ou peu de tracts syn­di­caux pen­dant le mou­ve­ment. Les rares délé­gués qui sont par­fois dési­gnés par l’assemblée géné­rale (pour aller négo­cier avec le minis­tère, ou s’exprimer dans les médias) ont un man­dat pré­cis et très court. Il n’y a pas, en tout cas for­mel­le­ment, deux caté­go­ries de gré­vistes. L’assemblée géné­rale se per­çoit comme un groupe homo­gène et solidaire.

Des pra­tiques démocratiques

Des habi­tudes prises lors des mou­ve­ments de mars 1994 et mars 1995, sous l’impulsion des étudiants de la Coor­di­na­tion liber­taire étu­diante (CLE, affi­liée à la CNT-AIT). Très actifs à l’université de Pau, les liber­taires ne sont pas très nom­breux : une tren­taine de mili­tants régu­liers tout au plus. Mais dès 1994 et le mou­ve­ment contre le SMIC-jeunes, ils vont réus­sir à convaincre les gré­vistes de la néces­sité de fonc­tion­ner selon leurs prin­cipes de démo­cra­tie directe. Des méthodes qui feront par­fois grin­cer des dents dans les rangs des autres orga­ni­sa­tions étudiantes (l’UNEF-ID et l’UNEF-SE prin­ci­pa­le­ment), mais devant le suc­cès de ces pra­tiques, il fau­dra bien faire contre mau­vaise for­tune bon cœur !

Ces pra­tiques de démo­cra­tie directe expliquent en grande par­tie le suc­cès et la cohé­sion des deux mou­ve­ments pré­cé­dents. Et en octobre 1995, plus per­sonne dans les amphis ne songe à les contes­ter. Avec un fonc­tion­ne­ment établi, des mili­tants très impli­qués et des cen­taines d’étudiants déjà bien rodés, la contes­ta­tion s’organise très vite. Les reven­di­ca­tions sont essen­tiel­le­ment locales : l’université de Pau vit une crise de crois­sance depuis quelques années et les moyens alloués ne suivent pas. Les pre­mières assem­blées géné­rales exigent donc des postes d’enseignants, des postes de IATOSS (per­son­nels non ensei­gnants), ainsi que des sub­ven­tions néces­saires à l’agrandissement des locaux.

Suc­cès local, dif­fi­cile coor­di­na­tion nationale

Les reven­di­ca­tions s’appuient sur des faits établis (manque de moyens, de profs, de locaux) que per­sonne ou presque ne conteste à Pau. Les étudiants se sentent concer­nés et le fonc­tion­ne­ment en assem­blée géné­rale, à défaut d’être tou­jours fluide, leur donne le sen­ti­ment de s’approprier le mou­ve­ment. Plu­sieurs reven­di­ca­tions natio­nales s’ajoutent rapi­de­ment aux exi­gences locales, notam­ment la sup­pres­sion de cir­cu­laires per­met­tant aux pré­fets de contrô­ler l’assiduité des étudiants étran­gers. Des ten­ta­tives de coor­di­na­tion natio­nale avec les autres uni­ver­si­tés en grève (notam­ment Rouen, très mobi­li­sée) abou­tissent plus ou moins, mais la mobi­li­sa­tion locale ne fai­blit pas.

Mi-novembre, au moment même où les pre­mières manifs contre les réformes Juppé s’organisent, le conflit à l’université de Pau est à son paroxysme. Le ministre Fran­çois Bay­rou dépêche un média­teur, Gérard Bin­der, afin de trou­ver des solu­tions. Après plu­sieurs jours de palabres, ce der­nier finira par « lâcher » la pro­messe d’une dota­tion sup­plé­men­taire de 100 postes d’enseignants et 50 postes de IATOSS sur quatre ans. Le 29 novembre, un pro­to­cole d’accord est même signé entre Gérard Bin­der et l’assemblée géné­rale (repré­sen­tée par 14 délé­gués qui signent tous le document !).

Les étudiants gré­vistes de Pau votent mal­gré tout la pour­suite du mou­ve­ment. A la fois pour main­te­nir la pres­sion sur le minis­tère (qui doit encore confir­mer la créa­tion des postes et l’allocation pour les tra­vaux) et pour obte­nir gain de cause sur les reven­di­ca­tions natio­nales. Il y a aussi la volonté, plus ou moins expri­mée en assem­blée géné­rale, de par­ti­ci­per au mou­ve­ment inter­pro­fes­sion­nel contre le gou­ver­ne­ment Juppé.

Étudiants et sala­riés solidaires

Sor­tir de l’université, ce n’est ni un tabou ni une nou­veauté pour les étudiants de Pau. Lors du mou­ve­ment contre le rap­port Laurent, en mars 1995, une cen­taine d’entre eux avait pris la route pour Tou­louse afin d’interrompre un mee­ting du pre­mier Ministre (et can­di­dat à la pré­si­den­tielle) Édouard Bal­la­dur.

En novembre-décembre 1995, la conver­gence des luttes était aussi à l’ordre du jour : les étudiants ont orga­nisé des opé­ra­tions péages gra­tuits, mais sur­tout ont occupé le centre de tri pos­tal ou les voies de la gare. Ces deux der­nières actions ont été menées en concer­ta­tion avec des sala­riés de la Poste ou de la SNCF, dont cer­tains repré­sen­tants étaient venus aux assem­blées géné­rales étudiantes. La soli­da­rité était bien pré­sente et les pré­oc­cu­pa­tions de poli­tique géné­rale égale­ment. Mais elles n’étaient pas le cœur des dis­cus­sions en assem­blée géné­rale, ni le moteur de la mobi­li­sa­tion de la majo­rité des étudiants.

Le mou­ve­ment étudiant à Pau s’est arrêté peu avant Noël, comme la plu­part des contes­ta­tions sociales de l’automne. Son bilan local reste excep­tion­nel avec une mobi­li­sa­tion très forte des étudiants (jusqu’à 5.000 d’entre eux en manif pour 10.000 ins­crits sur le cam­pus !). Ses résul­tats sont égale­ment remar­quables, avec l’obtention de 150 emplois et de cré­dits impor­tants pour le fonc­tion­ne­ment de l’université. Ses liens avec le mou­ve­ment natio­nal étudiant, comme avec le mou­ve­ment natio­nal inter­pro­fes­sion­nel, étaient bien réels même s’ils sont res­tés modestes, sans doute en rai­son d’un calen­drier défa­vo­rable. Le début des grandes mani­fes­ta­tions contre les réformes Juppé a en effet coïn­cidé avec la fin de la plu­part des mou­ve­ments universitaires.

Parmi toutes les mobi­li­sa­tions étudiantes des années 1990, c’est pour­tant celle qui s’est le plus rap­pro­ché des luttes des sala­riés, à tra­vers des actions com­munes ou des mani­fes­ta­tions géné­rales. Chaque uni­ver­sité en grève ayant fonc­tionné plus ou moins indé­pen­dam­ment, les expé­riences sont donc pro­ba­ble­ment très diverses. Vingt ans plus tard, en dépit de ce léger déca­lage avec les « grandes grèves » de 1995, ce mou­ve­ment étudiant reste une lutte pas­sion­nante, vic­to­rieuse et par­ti­cu­liè­re­ment for­ma­trice. Pour de nom­breux gré­vistes, ce com­bat de l’automne 1995 à Pau a été l’un des pre­miers pas d’un long par­cours militant.

 
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