Point de vue

Débat : lutte contre l’antisémitisme et solidarité avec la Palestine




Suite à la publication dans nos pages d’un article sur la commémoration du meurtre de Ilan Halimi à l’appel de plusieurs organisations, Pierre Stambul, de l’Union juive française pour la paix (UJFP), a souhaité exprimer un point de vue critique, notamment relativement à l’absence, selon lui préjudiciable, d’une prise de position sur la question palestinienne à cette occasion.

La notion d’antisémitisme évoque spontanément des siècles de discriminations, de massacres, d’expulsions, de stéréotypes racistes, culminant au milieu du XXe siècle par le plus grand génocide commis sur le continent européen.
On dit souvent «  le racisme et l’antisémitisme  ». L’antisémitisme a été incontestablement un racisme à part pendant la Seconde Guerre mondiale.

Tous les racismes ne mènent pas à l’extermination systématique du peuple haï. L’ampleur du génocide qui a emporté la majorité des Juifs de l’Europe occupée, l’utilisation de méthodes de mise à mort industrielles utilisées par la plus grande puissance de l’époque, l’extermination étendue aux enfants, tout ceci a un caractère «  unique  » et épouvantable. [...] La réponse au génocide nazi, cela doit être de tout faire pour que cela n’arrive plus jamais.

Donc qu’on éradique le racisme, le suprématisme, le colonialisme, les discriminations, l’inégalité. Tragiquement, la réponse sioniste a été  : que cela ne nous arrive plus jamais. Et ça veut dire l’inverse. Cela veut dire que des Juifs peuvent reprendre contre d’autres la brutalité dont ils ont été victimes.

Un racisme à part ?

Après le génocide, il serait faux de penser que les vainqueurs se sont sentis coupables. Si cela avait été le cas, ils auraient accordé l’asile aux rescapés du Yiddishland. [...] L’Europe et la communauté internationale se sont débarrassées de leur responsabilité en ce qui concerne l’antisémitisme et le génocide sur le dos des Palestiniens qui n’avaient pas la moindre responsabilité dans ces crimes. [...] L’État d’Israël est, dès sa fondation et de par la volonté de ses fondateurs, un État juif, réservé aux Juifs.

Sa fondation s’accompagne d’un crime contre l’humanité : l’expulsion préméditée de la grande majorité de la population autochtone. [...] Il ne s’agit pas d’un génocide, comme ce que les Juifs d’Europe venaient de subir, mais d’un ethnocide, d’un sociocide, visant à effacer la trace d’une population et à l’empêcher d’exister en tant que peuple. [...]

Aujourd’hui, avec la loi «  Israël, État Nation du peuple juif  », le doute n’est plus permis  : ce qui se fait là-bas au nom des Juifs, avec l’admiration et le soutien des principaux dirigeants de ce monde, est une entreprise raciste, suprématiste, colonialiste, militariste. Cela n’a rien à voir avec l’histoire, la mémoire et les identités juives. Mais les institutions censées parler au nom des Juifs partout dans le monde appuient cet apartheid et on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas.

Quand Leïla Shahid (une diplomate palestinienne), Dominique Vidal (un Juif français) et Michel Warschawski (un Juif israélien) sillonnent ensemble la France des quartiers populaires pour expliquer ce que l’occupant inflige aux Palestiniens et pour prôner le «  vivre ensemble  », elle et ils luttent contre l’antisémitisme. Quand soixante lycéens israéliens annoncent publiquement qu’ils n’iront pas à l’armée à cause de la «  politique sioniste de violence brutale envers les Palestiniens…  », ils luttent contre l’antisémitisme.

Comment lutter ?

Quand les journalistes israéliens Amira Hass et Gideon Levy, dénoncent inlassablement les crimes de l’armée israélienne, ils agissent contre l’antisémitisme. Grâce à eux, quand on se présente comme Juif en Palestine, la réponse est «  nous sommes contre l’occupation, nous n’avons rien contre les Juifs  ». Quand des jeunes Juifs des États-Unis s’engagent, au nom de leur judéité, dans le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), ils luttent contre l’antisémitisme.

Quand l’Union juive française pour la paix (UJFP) s’engage avec des mouvements de noirs, de Roms, de musulmans en France, quand elle proteste contre la dissolution du CCIF, elle lutte contre l’antisémitisme. Quand ses militants interviennent dans les quartiers sur la Palestine et sur le racisme et qu’on leur dit «  on ne savait pas qu’il y avait des Juifs comme vous  », ils luttent contre l’antisémitisme. Quand les paysans de Gaza, avec l’argent d’une souscription menée par l’UJFP, construisent un château d’eau pour pouvoir vivre de leurs récoltes et nourrir leur population et inscrivent en haut UJFP, l’antisémitisme recule.

Au moment de la fondation de l’UJFP en 1994, une des préoccupations principales, c’était «  pas de crimes en notre nom  ». Peut-on passer outre, ne pas se préoccuper de ceux qui prétendent parler au nom des Juifs, affirmer qu’aucun Juif ne doit être assigné à l’obligation d’avoir à se prononcer sur Israël et la Palestine  ? Il était sans doute encore possible de faire abstraction de cette guerre au moment de la profanation du cimetière de Carpentras (1990). Ce n’est plus possible aujourd’hui. À chaque crime antisémite, les drapeaux israéliens sont sortis dans les manifestations.

On aimerait sûrement que, dans l’esprit de notre population, l’image des Juifs soit rattachée aux générations qui ont précédé, se battant pour obtenir l’égalité des droits et objets d’une persécution millénaire. Elle est aujourd’hui aussi rattachée à un État raciste coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. [...]

La guerre du Proche-Orient

En France, les digues nous protégeant du racisme ont rompu. [...] Les crimes racistes, notamment commis par les forces de l’ordre, se multiplient et ils restent toujours impunis, les cas les plus emblématiques (parmi beaucoup d’autres) étant Adama Traoré et Zineb Redouane. La place de la lutte contre l’antisémitisme est au côté de ces victimes, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis où le mouvement «  Black Lives Matter  » a su fédérer toutes les luttes contre le racisme. Lutter contre l’antisémitisme sans poser la question de la guerre menée contre les Palestiniens est contre-productif.

C’est se désarmer face à l’instrumentalisation de l’antisémitisme par les sionistes. Isoler la lutte contre l’antisémitisme des luttes contre toutes les autres formes de racisme, c’est aussi contre-productif, c’est donner l’impression qu’on demande une exception pour les Juifs. Au contraire, la lutte contre l’antisémitisme doit retrouver l’universalisme de l’époque où une majorité de Juifs considéraient que leur émancipation, comme minorité opprimée, passait par l’émancipation de toute l’humanité.

Pierre Stambul (UJFP)

 
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