Plein feux

Séparatisme(s) : un projet dirigé contre le monde associatif




Si le projet de loi sur le « séparatisme » vise indéniablement les personnes musulmanes en France, on aurait tort de le réduire à un simple instrument de polémique raciste en période pré-électorale : il porte tout un projet de redéfinition de la relation de l’État au secteur associatif.

Les attaques du pouvoir d’État contre la pensée critique s’accélèrent et la flambée autoritaire cible tous azimuts : militants et militantes, chercheuses et chercheurs, journalistes.

Les « valeurs républicaines et la laïcité » servent de masque à un glissement autoritaire et à une islamophobie galopante. En outre, le projet de loi sur le « séparatisme », renommé (après plusieurs changements) « Projet de loi confortant le respect des
principes de la République », en cours d’étude au Parlement,
augmente significativement les contraintes que l’État fait peser sur les associations et élargit les motifs pouvant mener à leur dissolution, renforçant ainsi le risque de décisions arbitraires.

De l’éducation populaire à « l’engagement républicain »

En ligne de mire, avant tout les associations cultuelles et surtout musulmanes, les associations d’éducation populaire (c’est-à- dire qui se donnent comme objectif de développer l’esprit cri- tique et la capacité politique du plus grand nombre) [1], ainsi que les associations d’interpellation et de plaidoyer qui exercent une fonction de contre-pouvoir.

Dans son discours des Mureaux du 2 octobre 2020 annonçant la loi « contre le séparatisme islamiste » (le pluriel à « séparatismes » est venu plus tard), Emmanuel Macron avait abondamment par- lé de la « promesse d’émancipation » de la République, dans une optique de contrôle autoritaire dans la lignée du Service national universel mis en place en 2019, qui feint d’assimiler service militaire et colonie de vacances à visée émancipatrice. La défiance assumée de l’État vis-à-vis des associations laisse ces dernières relativement démunies. En effet, si en France le secteur de l’éducation populaire est jaloux de son autonomie, il est étranger [2] à la culture du rapport de force.

Dans le sillon de 1936, puis de la mise en œuvre du programme du Conseil National de la Résistance, il s’est développé de façon indépendante de l’État mais en le considérant comme un arbitre impartial, au-dessus des classes, et donc sans forcément le considérer comme une menace. Les associations qui voulaient défendre leur projet le faisaient dans une optique d’intérêt général et selon un principe de « coconstruction ».

Droit de s’associer pour n’importe quel objet

Aujourd’hui, et alors que la loi de 1901 [3] garantit aux citoyens et citoyennes le droit de s’associer pour n’importe quel objet (légal évidemment), le projet de loi actuellement à l’étude met en place le « contrat d’engagement républicain », qui n’a rien d’un contrat puisqu’il impose unilatéralement aux associations des contraintes inédites, assorties de sanctions possibles en termes de financement, d’accès aux équipements publics, voire menaçant leur existence même.

Au début du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville glorifiait la démocratie libérale états-unienne en affirmant que la vitalité civile et l’association privée volontaire étaient des ingrédients essentiels à la vie démocratique. On aurait pu penser que le libéral Emmanuel Macron aurait été sur la même ligne. Mais nous sommes aujourd’hui à l’époque du néolibéralisme autoritaire [4] et, d’autant plus dans un pays étatiste comme la France, l’État revendique d’être le garant et d’avoir le monopole de « l’intérêt général ».

Au fil du XXe siècle, les associations ont peu à peu gagné des victoires qui ont consisté à obtenir notamment des moyens financiers (subventions publiques) et en nature (mise à disposition d’équipements).

L’association fait la force

Ces subventions, dites « de fonctionnement », leur permettaient de mettre en œuvre librement leur objet associatif. Depuis 2007, ces subventions ont été peu à peu remplacées par des appels à projets : les associations ont alors appris à tordre leur projet associatif pour qu’il réponde à la commande publique. Malgré un grand art de la bidouille, elles sont devenues de plus en plus des sous-traitantes de services qui auraient dû être publics et pris en charge par des fonctionnaires, ceci d’autant plus que que mode de financement les met en concurrence les unes avec les autres.

Dans ce contexte, une analyse communiste libertaire, déclinée en une stratégie de développement des contre-pouvoirs, nous pousse évidemment à combattre la volonté centralisatrice et monopolistique de la puissance publique (État et collectivités territoriales) et à défendre la nécessaire autonomie des associations. Cependant, à court terme et étant donné l’état actuel du rapport de force, il est essentiel de nous battre pour que la puissance publique finance ces contre-pouvoirs au titre de sa responsabilité à permettre la liberté d’association (loi 1901) et à assurer la liberté d’opinion et d’expression (loi 1905).

DÉFENDRE L’AUTONOMIE

Si certaines associations et notamment les plus engagées font le choix de fonctionner sans subventions, cela ne saurait être une solution : d’une part parce que cela affaiblit les associations sans aucunement affaiblir l’État ; d’autre part parce que cela ne supprime pas la possibilité pour l’État
de dissoudre une association gênante, comme cela a par exemple été fait pour le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) en décembre dernier. En octobre 2020, l’Observatoire des libertés associatives publiait son rapport « Une citoyenneté réprimée » [5] dans lequel il analysait 100 cas d’atteintes aux libertés associatives pour identifier les processus à l’œuvre. La loi « séparatisme » s’inscrit dans ce processus de réduction de l’autonomie et de la capacité critique des associations. Pour contrer cette offensive fortement liberticide, il est nécessaire que le secteur associatif se défasse de sa réticence à entrer dans des rapports de force.

 Adeline (UCL Paris nord-est) 

[1Voir le dossier éducation populaire d’Alternative libertaire, été 2015.

[2L’éducation populaire et le syndicalisme avaient pourtant été très proches, notamment au moment de l’entrée de la Fédération des bourses du travail dans la CGT en 1902.

[3Spécificité française, la loi de 1901 stipule que « les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable », et leur permet de se doter d’une capacité juridique en se constituant personne morale de droit privé.

[4Mode de gouvernement dans lequel les politiques économiques sont imposées en s’affranchissant du contrôle parlementaire ou constitutionnel, et où un pouvoir fort garantit la souveraineté du droit privé.

[5À lire sur Lacoalition.fr.

 
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