Société communiste : Les communs, une idée novatrice ?




En ce moment, les biens communs et leur gestion refont leur apparition. L’idée d’accès libre et gratuité à un bien ou un service semble faire peau neuve. Cependant, cette idée n’est pas nouvelle. Elle fut à la base des courants communistes et surtout à la base du communisme libertaire défini par Kropotkine. Les communs d’aujourd’hui sauront-ils faire vaciller le capitalisme  ?

Depuis quelque temps on reparle des biens communs. Mais de quoi s’agit-il exactement  ? Le capitalisme a organisé l’économie en privatisant l’ensemble des biens matériels et de la vie sociale. Le capital en a fait des marchandises, permettant le profit, approprié par la classe dominante. Tout devient alors une marchandise, et lorsque les choses ne sont pas payantes, c’est que c’est nous qui sommes la marchandise. Par exemple, l’utilisateur de Facebook peut se connecter gratuitement au réseau mais tous ses faits et gestes sont auscultés pour créer des bases de données orwelliennes qui permettent un ciblage publicitaire ultra précis sur chaque individu.

Face à ce processus de conquête capitaliste de toutes les sphères de la vie, les penseurs du commun veulent au contraire réhabiliter son opposé  : les biens communs. En effet, même sous le capitalisme le plus débridé, le marché n’a pas totalement triomphé  : certains biens qui sont utiles à tout le monde restent partagés et sans restriction d’accès  : si le capitalisme a pu polluer l’air, celui-ci n’en reste pas moins illimité, gratuit et libre d’accès.

Accaparation par la classe dominante

C’est donc toute une série de biens qui ne sont pas encore appropriés  : cela peut être le cas de ressources naturelles, comme un étang ou des réserves de pêche, ou encore de ressources immatérielles. Par exemple, une encyclopédie comme Wikipedia fonctionne selon le principe que chaque utilisateur peut aussi être un contributeur, utiliser et modifier les informations à sa guise. L’objectif est la mutualisation du savoir commun, alors accessible gratuitement par tous.

Pour mieux comprendre ce principe, il faut rappeler qu’avant le développement de l’économie capitaliste, une grande partie des terres, pâturages et forêts appartenaient en commun aux paysans et villageois. En Grande-Bretagne, du XVIe au XVIIIe siècle, c’est l’appropriation par la classe dominante de ces biens communs qui permet ce que Marx appelle l’accumulation primitive de capital à la base du développement du capital tel qu’on le connait aujourd’hui (à ce sujet, il est possible de lire le livre d’Alain Bihr, Le Premier Âge du capitalisme).

Les théoriciens des communs se proposent de contrer cette logique de marchandisation en lançant l’extension des communs, c’est-à-dire des biens qui seraient librement accessibles de la sorte. Pierre Dardot et Christian Laval proposent la généralisation des communs pour faire face à la barbarie du capitalisme contemporain. Pour eux, un commun se définit par trois choses. La première est une ressource à partager ; la deuxième, une communauté qui va en gérer l’accès et la troisième, un ensemble de règles qui permettent d’en assurer un accès équitable.

Réinventer le communisme ?

Pour nous, le courant des communs est intéressant, dans le sens où il remet au goût du jour l’idée de tout partager et de sortir de l’économie de marché. À l’heure où «  il est plus facile de penser la fin du monde que la fin du capitalisme  » et où l’idéologie dominante voudrait nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative (le fameux « There is no alternative » de Thatcher), le fait même d’affirmer que le capitalisme n’est pas un horizon indépassable est rafraîchissant.

Néanmoins, si en tant que libertaires, on ne peut qu’être d’accord avec le contenu et le projet de mise en commun, il faut rappeler que les théoriciens des communs n’ont pas inventé grand-chose. En effet, l’idée de communisme (contrairement au collectivisme étatique par exemple de l’URSS) est très proche de ce qui est développé par les « communs ». L’idée de communisme sans État a été théorisée par de nombreux penseurs du mouvement ouvrier à commencer par Marx. C’est surtout le courant anarchiste qui a théorisé une société sans classes, sans État ou tout serait en commun. Plutôt que chez Proudhon, qui voulait préserver une forme de marché et de salariat, c’est du côté de Kropotkine que l’on peut chercher des références les plus intéressantes à ce sujet.

Le courant des communs est intéressant, dans le sens où il remet au goût du jour l’idée de tout partager.

Reprenant l’adage « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins », il prônait « la prise au tas » c’est-à-dire le partage direct, gratuit et inconditionnel de ce qui était produit, sans la médiation du salariat ou de l’argent, ces éléments de base du capitalisme, qu’il proposait d’abolir. De telles idées de partage direct et de mise en commun ont été mises en application au cours de la Révolution espagnole de 1936. En Aragon, certaines communautés inspirées par les idées communistes libertaires ont ainsi tenté de tout mettre directement en commun – et les choses ne fonctionnaient pas plus mal dans ces communautés. Si d’autres expériences furent moins radicales dans leur tentative de mettre en œuvre le communisme libertaire, conservant monnaie et salariat, l’ensemble se plaçait clairement dans une perspective de mise en commun. Ce seront les armées fascistes de Franco qui mettront un coup d’arrêt à ces très intéressantes expériences.

Et la révolution sociale là-dedans ?

Tout cela pour dire que les idées développées par le courant des « communs » ne font que reprendre les projets des différents courant communistes non autoritaires, que ce soit les communistes libertaires ou les communistes conseillistes, mais avec un recul : le fait de ne pas penser directement la nécessité d’une révolution sociale pour y arriver. En effet, les penseurs des communs semblent oublier que le capitalisme s’est fondé à l’ombre d’États très puissants et que partout où il s’est imposé, c’est par la violence, la répression et au fil de l’épée. C’est aussi par l’oppression et la violence qu’il se maintient, comme nous le rappelle sombrement l’exceptionnelle répression que subissent les gilets jaunes, alors qu’ils ne font que demander leurs droits et plus de justice sociale. Cet impensé de la question révolutionnaire est donc une limite sérieuse de la pensée des communs.

Néanmoins, comme nous l’avons dit, dans une période où il est difficile de penser un autre système que celui du capitalisme à bout de souffle, on ne peut que saluer les penseurs des «  communs  », mais peut-être gagneraient-ils à intégrer l’apport du mouvement ouvrier et tout particulièrement de ses composantes communistes libertaires.

Matt (AL Montpellier)

 
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