Libye : Paris continue d’alimenter la guerre civile




La guerre civile libyenne bascule de nouveau dans une phase explosive. Huit ans après sa première intervention militaire, la France ménage ses intérêts par un double jeu qui n’épargne pas les populations civiles.

Depuis le 4 avril, la guerre rallume ses feux en Libye  : les troupes de l’Armée nationale libyenne (ANL), sous le commandement du général Khalifa Haftar, assiègent Tripoli, capitale du pays et contrôlée par le gouvernement officiel, provoquant plus de 400 morts et le déplacement de 60 000 personnes. Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut remonter huit ans en arrière.

Depuis 2011 et la chute de Mouammar Kadhafi, sous l’action conjointe de huit mois de révolte et d’une intervention militaire occidentale, la Libye reste un pays fracturé. Une multitude de milices se disputent le contrôle du territoire. En parallèle, les tensions politiques au sein du gouvernement issu des élections de 2012 ont conduit à une situation de guerre civile en 2014 entre deux entités politiques rivales, le Congrès général national (CGN) et la Chambre des représentants, résidant respectivement à Tripoli et à Tobrouk, à l’est du pays. Le conflit s’était apaisé après un arbitrage de l’Onu en 2015 avec les accords de Skhirat, instituant un Gouvernement d’union nationale (GUN) à Tripoli sous la direction de Fayez el-Sarraj, tout en préservant un statu quo lourd de menace.

La France joue un double jeu

Le GUN contrôle l’administration officielle du pays, et notamment ses réserves de change, mais reste une entité très artificielle, les revenus de l’État étant notamment siphonnés par les principales milices de Tripoli en échange de leur soutien. De son côté, l’homme fort de l’est du pays, le maréchal autoproclamé Haftar, contrôle les principaux sites de production pétroliers, et s’est emparé de la majeure partie du territoire. Il est également appuyé par de puissants parrains régionaux, tels Moscou et par l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, partisans d’une restauration autoritaire en Libye. Sarraj bénéficie quant à lui du soutien de la Turquie et du Qatar, reflet des rivalités entre ces puissances régionales. Haftar, qui avait d’abord tenté de négocier son entrée dans la capitale, a tenté un coup de force en attaquant Tripoli  : il a surtout réussi à coaliser ses adversaires, laissant présager un enlisement du conflit.

La France, qui appelle officiellement à l’apaisement, joue dans les faits un double jeu  : en 2016, la DGSE envoyait ainsi des agents en service commandé auprès d’Haftar tandis qu’en parallèle, des soldats des forces spéciales françaises œuvraient auprès des troupes du GUN. Cela n’est pas sans rappeler les enjeux ambigus de l’opération Serval au Mali en 2013, afin d’aider le gouvernement de Bamako, client de la France, alors aux abois  : Haftar a notamment mené des offensives contre un groupe rebelle tchadien installé au sud de la Libye, qui s’oppose au gouvernement tchadien profrançais du président Idriss Deby. Paris, l’Europe et la Russie recherchent aussi un partenaire en Libye à qui déléguer davantage la gestion des flux migratoires… et ce, peu importe la brutalité de la méthode.

Face aux affrontements géopolitiques complexes entre factions, à différentes échelles, qui se jouent actuellement en Libye, les forces pouvant porter des perspectives émancipatrices et révolutionnaires peinent malheureusement à émerger et à se faire entendre. Nous ne pouvons que souhaiter qu’une fois la fureur des combats retombée, le mouvement ouvrier et les franges progressistes de la population libyenne sauront s’organiser en conséquence.

Vincent (35)

 
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