Anticarcéral : Quand la prison rend malade




Malgré une amélioration de la prise en charge médicale dans les prisons depuis une vingtaine d’années, le milieu carcéral reste incapable d’apporter des solutions aux problèmes médicaux et psychologiques des détenu-e-s... quand il ne les génère pas.

« Ils me bichonnent pour que je fasse ma peine en entier ». Au fond de sa cellule, dans le lit médicalisé qu’on lui a installé, Z.S. répond à sa manière à ma question : « Es-tu bien soigné  ? » Le transfert vers une maison de retraite médicalisée lui a été refusé par les parties civiles, et il poursuit donc sa peine (perpétuité avec 27 ans incompressibles) en luttant contre une « longue maladie » en récidive. Récidive, un mot qu’il connaît bien  : deuxième condamnation pour des faits similaires et une quinzaine d’années de détention au compteur. Il apprécie la visite quotidienne de l’infirmière, pour les soins, le patch de morphine, la conversation, le réconfort moral.

Il est vrai que depuis la création des Unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) en 1994, les établissements pénitentiaires bénéficient d’une qualité de soins équivalente à ceux proposés à l’extérieur. De nombreux et nombreuses détenu-e-s ont ainsi pu se faire dépister et soigner pour des pathologies sérieuses (hépatites, VIH, etc.). Le bilan médical est donc positif, même si au dire de certaines et certains détenu-e-s, la fréquence de passage des personnels soignants laisse un peu à désirer.

Plus de cent suicides par an

Mais que dire de toutes ces pathologies mentales, générées par la violence subie ou pratiquée à l’extérieur et dans l’enceinte même des lieux de détention  ? Toutes ces humiliations à supporter, toutes ces agressions physiques perpétrées entre détenus d’abord ou sur les surveillants  ? Cette sexualité plus ou moins consentie pratiquée sans protection  ?

Une étude récente montre que 55 % des détenu-e-s entrent en détention avec des troubles psy sérieux  [1] . Les détenu-e-s décédés après une tentative de suicide sont nombreux. En moyenne, un peu plus d’une centaine par an, soit six fois plus que dans la communauté « libre ». Toujours suivant cette étude 30 % à 40 % des détenus souffriraient de problèmes addictifs (alcool et psychotropes confondus). La majorité des personnes concernées entrant en détention pour des faits liés à une maladie mentale ont-elles réellement une chance de soigner ces pulsions destructrices dans un lieu initialement inventé pour « surveiller et punir », comme l’écrivait Michel Foucault  ?

Malgré le travail remarquable fait par des thérapeutes au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), l’enfermement, le manque d’intimité, l’oisiveté, l’impossibilité de se projeter dans un avenir cohérent et surtout la violence génèrent des troubles psychiatriques et psychosomatiques chez les détenu-e-s. La prison rend malade.

Il y a quelques semaines, un jeune homme de 19 ans est mort à la prison de la Santé des suites d’une chute accidentelle pendant la promenade, faute de soins appropriés. Triste dénouement pour ce gamin. Et cette situation risque de se reproduire tant que le rapport entre le médical/éducatif et le répressif ne sera pas inversé. Ce constat est récurrent et reste la clé d’une autre prise en charge des comportements transgressifs dans notre société.

Quant à Z.S., il est mort des suites de sa longue maladie, accompagné jusqu’à la fin de son infirmière et du médecin.

Pierre (AL Bigorre)

[1D. Vasseur, médecin chef de la prison de la Santé, 2001.

 
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