Hôtellerie : Lutte des classes dans les palaces




L’exploitation du personnel des hôtels, souvent des femmes immigrées, est intense, et la sous-traitance, courante, rendant difficiles les luttes collectives. Pourtant, depuis plus de dix⁠ ans, les femmes de chambre ont mené de nombreux combats, souvent victorieux.

De nombreux obstacles subsistent pour parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes, et entre personnes de différentes origines. De nombreuses femmes (surtout immigrées) se trouvent, en effet, reléguées dans des formes de travail informel, non ou partiellement déclaré, avec des contrats à temps partiel imposé. Elles travaillent dans des secteurs où la syndicalisation est difficile, voire inexistante.

Tout ceci s’est aggravé depuis quelques années, du fait d’une extension rapide de la sous-traitance et des emplois de service chez des particuliers - au détriment, par exemple, des emplois du secteur public. Nous saluons le courage de certains groupes de femmes salariées du secteur hôtelier, qui ont franchi le pas de se syndiquer et de se mettre en lutte pour faire bouger les choses.

Promesses non tenues

En mars 2002, trente femmes de ménage africaines de la société Arcade commençaient une longue grève dans quatre hôtels parisiens du groupe Accor. Cette grève devait durer près d’un an. Le groupe Accor (premier groupe hôtelier français) avait commencé depuis les années 1990 à externaliser massivement le travail de ménage de ses chambres d’hôtels.

Les femmes de chambre d’Arcade avaient des contrats à temps partiel de vingt-cinq heures par semaine, mais elles étaient payées en fonction du nombre de chambres nettoyées. Ce nombre variait chaque jour, chaque semaine et chaque mois. Elles devaient nettoyer les chambres au rythme de trois à quatre en une heure, mais elles mettaient plus de temps, et beaucoup d’heures ne leur étaient pas payées.

La direction du groupe Accor devait finalement accepter, à la fin de ce conflit, de signer une charte dans laquelle elle s’engageait à veiller à l’amélioration des conditions de travail des salarié-e-s de ses sous-traitants, et elle affirmait son intention d’internaliser en partie le ménage des chambres. Ces promesses n’ont pas été tenues, et une répression très dure s’est exercée à l’encontre de la principale déléguée syndicale de Sud-Nettoyage qui était chargée de veiller au respect des accords.

Depuis lors, pendant une dizaine d’années, les conflits contre la sous-traitance n’ont pas cessé de se succéder, dans le groupe Accor comme dans d’autres : chez Louvre hôtels (deuxième groupe hôtelier français), ou dans le groupe Hyatt (société américaine). Les revendications essentielles qui ont émergé sont celle de paiement en fonction du nombre d’heures réellement effectuées, et celle d’intégration chez le donneur d’ordres – ou tout au moins d’application d’un même statut aux salarié-e-s du donneur d’ordres et aux salarié-e-s des sous-traitants. Ce qui veut dire le plus souvent : paiement d’un treizième mois, de primes d’ancienneté, de primes d’alimentation, d’habillage, de participation... Les salarié-e-s en lutte étaient soutenu-e-s par les syndicats CGT des Hôtels de prestige et économiques et CNT-nettoyage.

Eclatement des collectifs de travail

La sous-traitance du ménage des chambres ne se justifie pas, dans la mesure où cette activité constitue le « cœur de métier » dans le secteur hôtelier, les sous-traitants n’apportant généralement aucun savoir-faire particulier. Elle n’a d’autre finalité que de pouvoir surexploiter et léser les salarié-e-s, qui sont souvent rémunérés 30 % en moins par rapport aux salarié-e-s du donneur d’ordres de même niveau professionnel, avec des horaires à temps partiel très irréguliers.

Le paiement systématique en fonction du nombre de chambres nettoyées, dans la sous-traitance, entraîne une dégradation massive des conditions de travail pour les salarié-e-s et du travail dissimulé. La politique d’externalisation du ménage des chambres se généralise actuellement à de nombreux hôtels, y compris des hôtels de luxe, et cela favorise un éclatement des collectifs de travail et une régression des droits sociaux pour l’ensemble des salarié-e-s.

Ces mouvements vont donc se poursuivre, et ont commencé à s’étendre en province. La loi du 20 août 2008 sur la représentativité des organisations syndicales permet aux salarié-e-s des sous-traitants de choisir de voter aux élections professionnelles avec les salarié-e-s du donneur d’ordres, ce qui pourrait renforcer les syndicats les plus combatifs.

L’égalité salariale et professionnelle ne doit pas être une égalité vers le bas. Il faut favoriser partout les mesures qui permettent de restaurer l’unité des collectifs de travail. Il faut manifester notre solidarité envers tous les groupes de femmes victimes de discriminations, et qui décident de se mettre en lutte. Odile (Collectif national pour les droits des femmes)

Odile (Collectif national pour le droit des femmes)


CINQ VICTOIRES POUR LES PETITES MAINS DES GRANDS GROUPES HÔTELIERS

Récemment, les femmes de chambre de plusieurs sous-traitants ont obtenu des victoires.

1) Trente-cinq femmes de chambre, gouvernantes et équipiers de la société Elior, qui travaillaient au Novotel Châtelet-Les Halles ont fait grève trente-quatre jours en octobre et novembre 2011. Elles ont obtenu le passage de CDD en CDI pour neuf d’entre elles, et des revalorisations du volume horaire de certains contrats. Dix-huit d’entre elles ont maintenu des dossiers de plainte aux prud’hommes pour délit de marchandage et travail dissimulé. Les directions du Novotel et de la société Elior ont été récemment condamnées au versement de 400 000 euros de rappels de salaires et de dommages et intérêts à ces salariées. Le directeur du Novotel a dû partir.

2) Quinze femmes de chambre et gouvernantes de la société Deca France travaillant aux Campanile et Première classe du pont de Suresnes ont fait quatre semaines de grève en mars et avril 2012, avec un tiers des salarié-e-s des hôtels. Elles ont obtenu l’arrêt du paiement à la chambre et le paiement en fonction du nombre d’heures réellement travaillées, avec l’installation d’une pointeuse, et une revalorisation de leurs contrats à 120 ou 130 heures (au lieu de 60 à 108 heures). Elles ont enfin obtenu leur intégration dans le personnel du groupe Louvre hôtels à compter du 1er août 2013, ce qui s’est traduit par un gain de 200 euros sur leur fiche de paie.

3) Récemment le groupe Louvre hôtels a accepté de signer avec les syndicats CGT et CFTC une charte sociale dans laquelle il s’engage à faire respecter la législation du travail chez les sous-traitants, et notamment le paiement en fonction du nombre d’heures de travail effectué, avec l’installation de pointeuses et l’obligation pour les sous-traitants de fournir des relevés des heures effectuées par chaque salariée. Le groupe Louvre hôtels s’est également engagé à intégrer d’ici fin 2015 une centaine de salarié-e-s de la sous-traitance travaillant dans cinq hôtels Campanile, Première classe et Kyriad.

4) Soixante femmes de chambre, gouvernantes et équipiers de la Française de services ont fait grève pendant six jours au mois de septembre 2013, à l’hôtel Park Hyatt Paris Vendôme. Elles ont obtenu le paiement d’un treizième mois, des revalorisations à 130 heures du volume horaire de leurs contrats et sept passages à temps plein, ainsi quela suppression de la clause de mobilité. Le 6 juin dernier, 48 salarié-e-s sont passé-e-s aux prud’hommes pour réclamer des rappels de salaires et des dommages intérêts pour marchandage. Le sous-traitant a été changé depuis janvier 2014.

5) Plusieurs autres procès pour délit de marchandage, prêt de main d’œuvre illicite ­ et travail dissimulé sont en cours ou ont été gagnés : au Concorde Montparnasse, au Sofitel Bercy

 
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