Nécrologie

1992-2021 : Tal, que ta mémoire soit source de révolution




Militante, penseur, écrivain, Tal Piterbraut-Merx (1992 - 2021) a illuminé les coeurs et les esprits de ses camarades, fournissant au mouvement social des réflexions novatrices sur la question des rappots adultes – enfants.

C’est avec une immense douleur que nous avons appris le décès de notre camarade et ami Tal Piterbraut-Merx, le 25 octobre 2021, à seulement 29 ans.
Militante, penseur, écrivain, Tal s’est très tôt engagée politiquement, dès la classe de quatrième contre le contrat première embauche (CPE), au lycée puis à l’École normale supérieure, et très vite au delà de la sphère universitaire.

Tal avait en particulier fait sien le combat contre la domination adulte et les violences sexuelles, au cœur de la thèse qu’elle devait soutenir prochainement, mais aussi de son dernier roman, Outrages, paru en 2021. C’est également dans ce domaine qu’elle s’est investie avec le collectif Claf’outils, qui proposait des ateliers d’éducation à la vie sexuelle et affective à destination des lycéennes, et de prévention des violences faites aux enfants.

Il a fallu à Tal plusieurs années pour sortir de l’hétérosexualité, faisant face aux obstacles familiaux, institutionnels et sociaux. Il tenait de plus en plus à s’affirmer comme gouine, et réfléchissait à créer des espaces pour partager et affirmer ces identités.

Ses proches sont unanimes  : « Tal avait ce don incroyable d’initier des conversations profondes, intimes, politiques, sans apriori ni jugement, avec toutes les interlocuteurices qu’il trouvait dignes, nous faisant faire de grands bonds en avant dans nos réflexions collectives, intimes et politiques, faisant ainsi avancer sa propre pensée. Tal avait un souci d’exigence insatiable, tout pouvait et devait être remis en question, les contradictions pointées du doigt, quitte à assumer des ruptures, amicales, politiques, associatives. Sa détermination et son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme, dans de nombreux espaces, illustre cela. »

Au milieu de ces discussions intenses jaillissaient sans cesse des rires  : c’était l’équilibre que Tal trouvait, à la fois pour nous réunir et pour lutter contre le silence. C’est ainsi qu’est née, chez lui, avec des camarades du groupe Juives et Juifs révolutionnaires, l’idée d’organiser un rassemblement pour rendre hommage à Ilan Halimi en février 2021, afin de donner du sens politique à des silences, et pour recoller les morceaux entre la gauche et la lutte contre l’antisémitisme.

Dans un hommage, un ami raconte ainsi : « Agressé sexuellement dans ton enfance, tu as souffert du silence de l’inceste. Quand tu étais Juif parmi les gauchistes tu devais aussi te taire. Quand tu étais lesbienne parmi les Juifs, tu devais encore te taire. Étais-tu un homme ou une femme ou autre chose  ? Tu t’en foutais. Que tes mondes se rencontrent, que ceux qui souffrent se comprennent et s’allient pour se révolter plutôt que de se repousser n’était pas seulement une ambition politique. C’était ta condition de survie. »

Ces derniers mois, Tal s’était rapprochée de l’UCL, souhaitant trouver un espace pour faire le lien entre ses combats, mais aussi pour faire avancer dans l’extrême gauche ses réflexions singulières.

Tal a dû faire le choix de mettre fin à sa vie, et même si nous en sommes réduits à émettre des hypothèses sur ses motivations. Il est raisonnable de dire que Tal est mort de l’inceste, et du silence autour de cette insupportable violence. La tristesse et le choc étaient donc mêlés d’un sentiment d’injustice parmi la foule de centaines de personnes qui se sont retrouvées au cimetière de Bagneux (92) le 12 novembre 2021 pour lui rendre un dernier hommage.

Tal était une étoile qui illuminait les coeurs et les esprits de ses camarades. Nous tâcherons de faire vivre ses combats.

Louise (UCL Saint-Denis) et Manu (UCL Pantin)


Les amies et camarades de Tal se sont retrouvés chaque jour après l’annonce de son décès. De leurs discussions est née l’idée qu’il est essentiel que ses réflexions et combats se perpétuent.

Si le départ tragique de notre camarade est un déchirement, la force de ses engagements est source d’un courage insolent. Insolente, la lutte quotidienne, la lutte permanente, qu’il menait contre toute forme de dominations ou d’exactions. Insolente, l’harmonie de sa pensée à même de faire progresser l’ensemble des révolutionnaires.

Aujourd’hui, saluer, chérir sa mémoire, est un chemin de ruptures et d’espoirs. « Ce qu’il y a de plus violent dans la société, c’est l’ignorance » disait Emma Goldman. Tal a mis en évidence que l’enfant compte parmi les premières victimes de ce régime d’ignorance. Enfant, Tal a été victime d’inceste et a mené une lutte sans relâche contre ce qui est la plus précoce des violences patriarcales. Il a nourri une vision transformatrice de l’enfant, non plus comme être en devenir, mais en tant que catégorie, marquée par la domination adulte. Politiser l’enfance, c’est sortir de l’ombre le pouvoir qui s’exerce sur l’enfant et les conséquences de ce régime  : brutalisation, inceste, indifférence.

Il a montré à quel point ces questions de violences étaient structurelles mais étaient encore des impensés dans nos milieux militants. Il en ressort le constat que les différentes violences sont les piliers d’un même socle. Ainsi, pour prévenir les violences faites aux femmes, nous devons prévenir les violences faites aux enfants, car 80 % des violences sexuelles sont commises avant 18 ans. Sa pratique de l’autodéfense pour enfants fait jaillir cet enseignement  : on ne peut lutter contre la culture du viol sans lutter contre la culture de l’inceste et des violences pédocriminelles. Nos yeux s’ouvrent et alors ne peuvent plus se refermer.

Il s’agit alors dans ses écrits de chercher un autre équilibre dans les rapports entre les enfants, leurs familles et l’État, sur les questions de protection de l’enfance.
Son implication dans les luttes d’émancipation est marquée par la recherche d’unité  : entre les luttes féministes et antiracistes, pour les droits des LGBTI, contre l’exploitation et la société capitaliste. Avec acharnement elle a œuvré pour la formation de notre classe contre l’antisémitisme qui couramment l’empoisonne.

Pour permettre de diffuser au mieux ses réflexions, des groupes de travail se mettront en place dans les prochains mois afin de reprendre, publier et éventuellement éditer les écrits qu’il a laissés inachevés. En particulier, Tal était en train d’avancer dans une thèse de doctorat intitulée  : « Les rapports adulte - enfant, un problème pour la philosophie politique ? ». Elle y interrogeait notamment la notion de vulnérabilité des enfants. Nous invitons chaque lecteurice à découvrir les articles, émissions de radio et conférences disponibles en ligne, pour découvrir ou appronfondir les réflexions sur ces sujets.
Tal est le nom de notre révolte et ses combats sont notre futur.

Des amies et camarades de Tal

 
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