Politique

32 heures : porter une revendication minée




La réduction du temps de travail (RTT) est un des principaux thèmes de la lutte des classes. Mais elle doit être liée à des questions très concrètes qui tiennent aux conditions de vie et de travail des salariées. Quels peuvent être les enjeux et le potentiel libérateur de la RTT aujourd’hui  ?

Entre 1900 et les années 2000, la durée annuelle moyenne du travail est passée de 3000 à 1600 heures. Cette baisse est surtout le résultat des luttes, comme par exemple les grèves massives de 1906, 1936 et 1968. Depuis, la dernière réduction quelque peu significative est issue des lois sur les 35 heures en 1998 et 2000.
C’est d’abord une revendication défensive, visant à s’attaquer au chômage de masse par la création d’emplois. C’est un enjeu important pour sortir de situations de misère, mais aussi pour le rapport de force face au patronat.

Celui-ci et l’État utilisent le chômage comme chantage aux revendications salariales, et désignent les privées d’emploi comme des «  feignasses  » qui plomberaient les budgets publics et de la Sécurité sociale. Cette dimension de la RTT est en partie une des raisons de son faible écho parmi les adhérentes des syndicats et des salarié.e.s en CDI à temps plein, qui sont encore aujourd’hui largement majoritaires. Elle ne les concerne pas immédiatement. C’est là une vraie difficulté.

RTT et patronat

La RTT peut être compatible avec la logique du profit. On l’a vu lors des lois Aubry sur les 35 heures. Réorganisation et redéfinition du temps de travail effectif, chasse aux pauses, annualisation et heures supplémentaires rendues invisibles, extension du travail de nuit et de fin de semaine, multiplication des cycles impactant la santé, flexibilité à outrance avec la modification des plannings et le raccourcissement des délais de prévenance, provoquant une réelle détérioration de la vie quotidienne, en particulier le salariat féminin qui a la charge des tâches familiales.

Tout cela pour intensifier le travail, augmenter le temps d’occupation des moyens de production et la productivité. Cette loi n’a pas imposé aux patrons et à l’État une compensation intégrale en embauches à temps plein. De plus, elle a renvoyé les 35 heures à des négociations par entreprise. Ce sont des leçons à retenir pour la lutte en faveur des 32 heures.

La lutte pour la RTT doit, pour rassembler largement et être «  prise en main  » par les tous les collectifs de travail, aborder impérativement des situations concrètes pas assez débattues. En voici quelques-unes  : l’amplitude journalière et les contrats à temps partiel. Mais aussi le temps pour se déplacer sur différents lieux de travail, qui est crucial dans de nombreux métiers. Le Code du travail est indigent sur ce sujet, et obtenir gain de cause suppose de saisir la justice en espérant tomber sur des juges pas trop favorables au patronat…

La lutte pour la RTT implique de combattre les heures supplémentaires  : pour que toutes soient payées, les rendre plus chères, et que le contingent annuel soit défini par la loi, d’ordre public, abaissé et indépassable. Avec les ordonnances Macron de 2017, on assiste dans des accords d’entreprise à la hausse de ce contingent, faisant alors disparaître l’obligation des repos compensateurs  : travailler plus et se reposer moins  !

Enfin, comment passer à côté d’une baisse des durées maximales de travail par jour et par semaine, par la loi et sans dérogation, sans que la RTT ne laisse un goût amer à des centaines de milliers de salariées ?

Quelles modalités pour les 32 heures ?

Moins d’heures par jour  ? Moins de jours par semaine  ? Plus de congés annuels  ? Est-ce qu’une modalité unique pour toutes et tous doit être défendue, au risque de voir peu se mobiliser des métiers et des secteurs entiers  ? Mais il faudra, tirant les leçons des lois Aubry sur les 35 heures, défendre un cadre contraignant et de haut niveau, pour protéger tout le monde et faire masse face au patronat et l’Etat.
Les syndicats CGT, FSU, Solidaires et les CNT font tous figurer la RTT dans leurs revendications, en particulier les 32 heures pour les trois premières. Mais FO n’est clairement pas sur ce terrain, comme le montre sa déclaration de novembre 2021 où la RTT est aux abonnés absents.

Nous voulons tout !

Cette convergence au niveau national sur la RTT, de la quasi-totalité des syndicats de lutte, est une base d’appui pour engager des actions unitaires de longue durée. Mais il faudra trouver le chemin pour qu’elles se construisent à la base, sur les lieux de travail et les territoires. Sans quoi la revendication restera dans le domaine de l’incantation. Le renforcement des unions locales de syndicats apparaît de nouveau comme un enjeu stratégique.

Pour le moment, malgré quelques luttes locales offensives, la RTT n’a pas été réellement prise en compte par les équipes syndicales, du moins en France. C’est par contre la question des salaires qui vient de faire son entrée sur le devant de la scène sociale. Faut-il s’adapter à cette situation, et lâcher une revendication pour l’autre, afin de ne pas s’éparpiller  ? Aux salarié.es et aux syndicats de répondre.
Les communistes libertaires défendent la RTT et les hausses de salaires  : travailler moins, mieux, toutes et tous, et gagner plus  ! Nous voulons prendre tous les profits et décider ensemble de quoi en faire. La RTT a un fort potentiel de lutte anticapitaliste si, à cette occasion, le débat sur les lieux de travail ira au-delà. Ce doit être l’occasion de contester le pouvoir du patronat et des directions sur tous les aspects de l’organisation du travail et de ses effets, au boulot comme dans la vie personnelle et familiale.

De plus, travailler moins, c’est aussi mettre fin aux activités inutiles et à celles qui sont nuisibles à l’environnement et à la santé, pour en créer et en développer d’autres, utiles à la société et au bien vivre ensemble. Cette reconversion, qui ne pourra se faire sans les salariées directement concernés, devra garantir leurs acquis sociaux et leurs salaires, le temps qu’il faudra et quoi qu’il en coûte  !
Finalement, la lutte pour la RTT montre que le problème c’est le travail en régime capitaliste, c’est-à-dire le patronat et l’État. Et qu’il s’agit donc de les remplacer par l’auto-organisation généralisée de celles et ceux qui créent toutes les richesses.

Michel (UCL Vosges)

 
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