49e congrès CGT : De l’électricité dans l’air




Le congrès de la CGT, du 6 au 11 décembre, a été le théâtre d’une contestation montante contre la ligne Thibault. La direction a néanmoins fait voter une nouvelle orientation sur les retraites. Épreuve du feu cette année.

Qu’on le veuille ou non, la CGT reste une centrale syndicale incontournable dans la lutte de classe en France, et quoiqu’on pense de sa direction bureaucratisée, de ses trahisons, compromissions et autres avanies, elle compte à la base plus de syndicalistes de lutte que n’importe quelle autre confédération syndicale. D’où l’intérêt de sonder, à l’occasion de son 49e congrès, à la fois l’ambiance dans ses rangs, et les orientations avec lesquelles elle compte relever le défi lancé par Sarkozy sur les retraites en 2010.

Ambiance de stade de foot

Première constatation, et c’est une nouveauté symptomatique d’un climat de tension, les congressistes se sont souvent comportés cette année comme des supporters, huant, sifflant ou applaudissant à tout rompre telle ou tel orateur. La tribune, où se tenaient pas mal de responsables confédéraux, n’y a pas échappé. Rien d’étonnant donc à ce que Thibault ait décommandé Chérèque la veille de sa visite : ç’aurait été l’émeute. Ambiance étonnante donc, à moitié délétère, avec tout de même quelques purs moments de communion obligée, comme l’ovation unanime à la délégation de grévistes sans papiers.

Des oppos dans toute la salle

Dans un congrès de la CGT, pour éviter les débordements, la disposition des fédérations est hautement stratégique. Normalement on confine les trublions sur une aile pour que les protestations restent localisées. À Nantes, mauvais calcul : les délégations oppo sitionnelles (surtout Agroalimentaire et Chimie, mais aussi Organismes sociaux, Enseignement, Commerce, Finances et journalistes) étaient réparties dans toute la salle, amplifiant visuellement leurs protestations.
Comme à l’accoutumée, les délégués oppositionnels se précipitent pour s’inscrire sur les listes de prise de parole qui sont, du coup, 9 fois sur 10 hostiles à la ligne confédérale. Jusqu’à ce que survienne une ou un délégué qui prend le micro pour défendre la ligne, sous un tonnerre d’applaudissements qui vient confirmer où se situe la majo.

Au vote, le rapport de forces se confirme : en moyenne, l’oppo pèse 23 %, les abstentions 7 %, la majo 70 %. Assis au premier rang, entouré de ses gardes du corps, Bernard Thibault ne se départit jamais de son calme olympien.

Qui sont les oppos ? Pas forcément nos amis, hélas. La fédé de l’Agroalimentaire par exemple, est totalement stalinisée. Au congrès, elle vote comme un seul homme contre la direction confédérale. Mais sur le terrain, elle ne se distingue nullement par sa combativité contre le patronat, ce qui permet à la confédé de suggérer qu’elle est corrompue.

L’événement Delannoy

Que penser du concurrent putatif de Bernard Thibault au poste de secrétaire général, Jean-Pierre Delannoy ? Plusieurs groupes oppositionnels avaient « investi » ce militant de la Métallurgie du Pas-de-Calais. L’opération était une bonne idée d’un point de vue médiatique. Mais elle avait été montée hors des délais de dépôt des candidatures. Delannoy, promis à faire zéro voix, était néanmoins présent et a répondu aux questions de nombreux journalistes curieux. Son nom a également cristallisé de la haine. Une haine qui en dit long sur les vestiges, dans la CGT, d’une culture stalinienne qui a pourri le mouvement ouvrier pendant plusieurs décennies : celui qui conteste doit être traîné dans la boue pour le seul fait qu’il conteste, qu’il divise, qu’il « fait chier ». On ne l’écoute pas, on n’argumente pas, mais on le couvre de ridicule, comme ces jeunes électriciens qui s’amusaient (hors séance) à inventer des chansons paillardes dont le malheureux Delannony était l’antihéros. Le pire étant que ces mêmes jeunes militants peuvent être d’authentiques syndicalistes de lutte, dont certains mis à pied par EDF suite aux luttes dures de ce printemps !

Structures et écologie

Depuis bientôt dix ans il est question de créer des syndicats « de site » ou « de zone » ou « multiprofessionnels » pour adapter la CGT aux mutations du salariat. Cela suscite la réticence des unions locales qui craignent d’être évincées au profit de ces nouvelles structures. Le 49e congrès ne marque pas d’évolution notable sur cette question.

Un fait peu remarqué, la CGT a commencé à Nantes à définir sa ligne sur la question écologique : non à une « décroissance » susceptible d’être mal comprise, mais oui à un « développement humain durable ». Une formule alambiquée qui correspond à la fois à une mise à jour de la CGT sur cette question, et à une adhésion à l’idée que le capitalisme étant indépassable, la seule chose à faire est de s’y adapter, comme l’ont dénoncé plusieurs délégué-e-s. Il y a là une ambivalence caractéristique de la façon de penser confédérale qui, pour être efficiente, doit convenir à une majorité des composantes de la CGT [1]. Il est possible que cette innovation annonce un travail plus approfondi au prochain congrès.

Retraites : virage sur l’aile

C’est fait : la CGT abandonne officiellement la revendication des 37,5 annuités. À la place, une revendication qui se veut unifiante : la « maison commune des retraites ». Il s’agit de revendiquer que le cumul des annuités débute, pour toutes et tous, à l’âge de 18 ans, qu’on soit salarié ou non. Moyennant quoi, la CGT accepte les 42 annuités, ce qui garantirait la retraite à taux plein à 60 ans pour tout le monde.
Cet abandon d’une revendication-phare entérine six années de défaites et de reculs dans lesquels la direction CGT porte une lourde part de responsabilité avec sa stratégie dilatoire des « temps forts » et des « temps morts », et n’augure rien de bon.

Car même si ce nouvel axe revendicatif peut sembler plus parlant aux jeunes générations pour lesquelles les « 37,5 » appartiennent déjà au passé, qu’est-ce qui garantit que la CGT aura, davantage qu’en 2003, 2007 et 2008, la volonté d’un affrontement central avec l’État et le patronat pour les faire aboutir ? C’est cela la vraie question.

Cette question de la stratégie dans les luttes a justement fait l’objet d’âpres critiques lors du débat sur le rapport d’activité. Plusieurs délégué-e-s ont stigmatisé le refus de la confédération de coordonner les luttes contre les licenciements par exemple. Et là-dessus, aucune réponse ! Daniel Prada, chargé de répondre, s’est contenté de jérémiades : « Pouvait-on faire plus ? Pouvait-on faire mieux ? » S’il n’y avait pas eu les grèves de sans-papiers, la direction n’avait pas de bilan à défendre !

La bataille de 2010

2010 va être une année de bataille sur les retraites, encore une fois. Nicolas Sarkozy a déclaré à La Seyne-sur-Mer que le rendez-vous sur ce dossier serait « le marqueur de la volonté de réforme de la majorité ». L’objectif du gouvernement, c’est 42 annuités pour toutes et tous. Ça va donc être l’heure de vérité.

Le congrès CGT, c’était 982 délégué-e-s, à 50-50 du public et du privé. Les femmes étaient légèrement sous-représentées (35 %, contre 40 % dans le salariat) et les précaires légèrement surreprésentés (15 %, contre 13 %). Les ouvriers pesaient 30 % (contre 27 %) ; les employés et catégories intermédiaires 50 % (contre 59 %), les cadres 20 % (contre 14%).

Des communistes libertaires de la CGT

[1Lire AL d’octobre 2009 : « Les quatre sensibilités de la CGT ».

 
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