Etats-Unis : Victoire des fondamentalistes




Au-delà des probables irrégularités électorales, voire des manipulations dont l’ampleur ne sera jamais connue du grand public, un fait semble avéré. La réélection de Bush à la présidence des USA repose cette fois sur une nette victoire électorale, avec environ 3,5 millions de voix d’avance sur son concurrent John Kerry. De plus, le Parti républicain a renforcé sa majorité au Sénat, comme à la Chambre des représentants.

« À tous les échelons, l’emprise républicaine s’est renforcée. Si l’on compte le retard de 500 000 voix qu’il avait sur Al Gore en 2000, George Bush a gagné 4 millions de suffrages en quatre ans. Pour un président dont l’action est jugée négativement par 52 % de ses concitoyens, le paradoxe n’est pas mince », analysait le journal Le Monde dans son édition du 5 novembre. En fait, ce paradoxe est seulement apparent.

Ce scrutin montre et renforce à la fois la domination idéologique de la « droite chrétienne » dans la grande majorité des États de l’Union. Contesté sur son bilan économique, en difficulté sur la question irakienne, Bush a bâti sa victoire sur la défense des « valeurs traditionnelles ». La corrélation entre la pratique religieuse et le vote pro-Bush est clairement établie par les sondages « sortie des urnes ». L’adhésion massive à une défense des « bonnes mœurs » et des « valeurs de la famille », à une lecture fondamentaliste de la Bible et à une promotion de la prière à l’école, a construit le vote Bush. Ainsi, lors des nombreux référendums soumis à la ratification des électeurs, ceux concernant des projets de réformes constitutionnelles visant à interdire les mariages homosexuels, ont tous été approuvés. Aujourd’hui, plus de 40 États prohibent dans leurs textes ces unions. La droite religieuse est en mesure de renforcer son poids au sein du Parti républicain et de peser de façon encore plus déterminante sur les orientations politiques. D’ailleurs Bush a affirmé à l’issue de sa réélection sa volonté de « maintenir les valeurs les plus profondes de la famille et de la foi ». C’est bien le problème de l’égalité des droits des homosexuels et la question de l’avortement qui sont en cause. Avec l’assentiment de la majorité des citoyens ayant participé aux élections, la droite religieuse au pouvoir va mener maintenant une offensive tambour battant pour combattre la « libéralisation des mœurs » et les droits des femmes. Un siège à la Cour suprême va être vacant dans les semaines à venir. C’est l’occasion pour Bush d’assurer une majorité anti-avortement dans cette institution.

Misère grandissante

Concernant sa politique économique et sociale, Bush s’estime les mains libres. « Avec une plus large majorité, nous pouvons faire des choses encore plus excitantes », a prévenu Tom Delay, chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants. Bush, dans la liste des principales réformes qu’il se propose de mener pendant son second mandat, a cité la révision complète de la fiscalité (au profit des plus riches contribuables étatsuniens, cela va sans dire), la privatisation de ce qu’il reste des systèmes de retraites par répartition, l’extension dans l’enseignement secondaire de la réforme mise en œuvre dans le primaire, en particulier « l’aide » aux familles pour acquitter le coût d’une scolarité dans l’enseignement privé, etc.

Renforcé sur la scène intérieure aux USA, Bush considère que tout doute et toute critique ont été balayés concernant sa politique internationale. Il réaffirme qu’en Afghanistan et en Irak les USA ont « servi la cause de la liberté du genre humain ». C’est dans ce cadre que l’offensive contre Fallouja a été déclenchée et menée à coup de bombardements massifs, de destruction de toutes les infrastructures sans faire de victimes dans la population civile, vous l’avez deviné. De même, l’annonce d’une volonté de reprise des négociations de paix en Palestine, dans le cadre de l’approbation implicite par l’administration de Bush de la construction du « mur », vise à obtenir la reddition sans condition des Palestiniens. Ils seront sommés d’abandonner toutes leurs revendications et tous leurs droits et de se contenter de gérer des territoires amputés de toutes les zones utiles stratégiquement ou économiquement à l’État d’Israël, soumis au contrôle de son armée, à sa domination économique. Et l’autorité palestinienne assignée à la répression de sa propre population subissant une misère grandissante et un enfermement dans des territoires transformés en prisons à ciel ouvert.

Adhésion populaire

La victoire de Bush est porteuse de risques importants autant pour la population aux USA que pour le reste de l’humanité. Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’elle est basée sur une adhésion populaire construite à partir de deux mécanismes.

En premier lieu, dans le contexte d’insécurité sociale grandissante, lié à toutes les régressions sociales organisées au profit des classes dirigeantes, la droite religieuse américaine, comme tous les courants de la réaction, joue sur la politique de la peur pour opposer les travailleurs les uns aux autres et asseoir son pouvoir. Ensuite, la « gauche » mettant en œuvre les mêmes politiques de régressions sociales (même si elles sont agrémentées d’un peu plus de gestion sociale) quand elle est au pouvoir, perd tout crédit auprès des classes populaires et se met d’elle-même en situation d’échec.

Ce qui vient de s’exprimer aux USA, n’en doutons pas, peut s’étendre aux pays européens. L’alternative politique à laquelle de nombreux travailleurs aspirent encore, ne se construira pas dans les institutions de la société capitaliste. Il n’est peut-être pas trop tard pour consacrer toutes nos énergies à construire, dans les luttes sociales et dans les expériences alternatives, ce projet anticapitaliste sans lequel nous ne pourrons pas combattre efficacement les progrès de la réaction, quel que soit l’habillage qu’elle se donne. En Europe, comme aux USA !

Jacques Dubart

1. « Quatre ans de plus ! », le slogan des républicains, détourné après la mort de deux mercenaires américains en mars dernier à Falloudjah.

 
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