Culture

Lire : Erkich, « La grande transformation du sommeil »




La manière de dormir, d’un bloc d’environ huit heures, telle que nous la connaissons, s’est répandue à l’ère de la révolution industrielle avec la généralisation de l’éclairage artificiel des villes et l’imposition d’une nouvelle discipline du travail.

À partir d’extraits de journaux intimes, d’œuvres littéraires (d’Homère à Stevenson, en passant par Shakespeare et Virgile), de dépositions judiciaires et de livres de médecine, Roger Ekirch, professeur d’histoire à l’Institut polytechnique de Virginie, montre que le sommeil était communément jusque-là scindé en deux moments, séparés par une période de veille consacrée à différentes activités.

Dans une postface qui constitue un judicieux complément, Matthew Wolf-Meyer montre que ces modifications ont aussi et surtout une origine idéologique, et à quel point la pathologisation des insomnies, la culpabilisation des pratiquants de la sieste, témoignent du façonnage par les forces économiques de l’organisation du sommeil, au même titre que l’imposition des consommations de produits pharmaceutiques, de caféine et de sucre : «  J’ai soutenu l’idée selon laquelle le sommeil consolidé est inextricablement lié à l’émergence du capitalisme industriel dans les pays de l’Atlantique Nord, et que sa diffusion à l’échelle planétaire en tant que fondement normatif et biologique du sommeil est liée à des formes d’impérialisme temporel.  »

En racontant cette autre «  grande transformation  », Roger Ekirch décrit l’avènement du capitalisme sous un angle pour le moins original, prouvant que l’emprise de celui-ci sur nos vies est bel et bien total, si ce n’est totalisante. Accessoirement, il peut permettre, individuellement, d’appréhender tout autrement notre sommeil et surtout ce qui passe pour dysfonctionnements.

Ernest London (UCL Le Puy-en-Velay)

  • Roger Ekirch, La Grande Transformation du sommeil, Amsterdam, 2021, 196 pages, 17 euros.
 
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