Orientation communiste libertaire

Pour un service public du logement socialisé




Poids des loyers, flambée de l’immobilier, spéculation, expulsions, ségrégation urbaine, lutte contre la gentrification, réquisitions de logements vides… la répartition des logements est un aspect de la répartition des richesses, et donc un front important de la lutte des classes.

La lutte pour le logement concerne toutes et tous les exploitées, et avant tout les habitantes et habitants des quartiers populaires, exposés à une violence sociale aux multiples visages : scolarité morcelée, vie de famille et personnelle brisée, risque de perte d’emploi. Cette violence devient criminelle au regard du nombre de personnes qui décèdent chaque année dans la rue (plus de 13.000 morts sur la période 2012-2016, selon le Collectif des morts de la rue), de mal-logées ou de locataires ne pouvant plus payer et qui se suicident.

En 2019, le pays comptait 141.500 personnes sans abri, 67.000 en « habitat de fortune » (squat, logement insalubre) et 18.000 dans des bidonvilles. En 2020, la crise du Covid-19 et le confinement ont fait éclater au grand jour les inégalités liées au logement et aggravé la situation des personnes mal logées.

Un droit fondamental en danger

La croissance du parc de logements s’est accélérée depuis quinze ans. En moyenne, 360.000 logements ont été créés chaque année entre 2004 et 2019, contre environ 315.000 par an entre 1984 et 2004. Cependant, dans ces constructions, la part de résidences principales a notablement baissé : 69% sur la période 2004-2019, contre 89% sur la période 1984-2004.

Le parc social est insuffisant : en 2020, 2 millions de ménages attendaient un logement social en France. Les logements disponibles à un prix raisonnable sont souvent éloignés des lieux de travail, mal desservis par les transports collectifs et éloignés des services publics. Les propriétaires sont toujours plus exigeants en matière de pièces à fournir, de cautions et de loyers au prétexte d’être victimes de mauvaises et mauvais payeurs.

L’État laisse faire pour protéger les spéculateurs. Des milliers de mètres carrés restent inoccupés pour maintenir les prix artificiellement élevés. Pire, il viole ses propres lois. Ainsi, le droit au logement opposable (Dalo), instauré en mars 2007, n’est toujours pas mis en œuvre  : une fois reconnus prioritaires, les bénéficiaires attendent un logement très longtemps. Les autorités refusent de réquisitionner les logements vides.

Au total, on dénombrait en 2019 environ 3,1 millions de logements vacants sur un parc total de 36,6 millions de logements, soit un logement sur douze. Cette proportion a fortement augmenté depuis quinze ans et atteint un sommet historique.

Des spéculateurs bâtissent des fortunes sur le dos des mal-logées et des locataires, contraints de consacrer une part toujours plus élevée de leurs revenus au logement : le «  taux d’effort  » qui, en 1960, était de 11%, a atteint 27% en 2015  [1]. Toutes situations confondues (locataires, accession à la propriété, propriétaires), les 25% des ménages les plus pauvres consacrent au logement une part de leurs revenus plus de deux fois supérieure à celle consacrée par les 25 % de foyers les plus riches  [2].

Jusqu’à la fin des années 1990, le revenu disponible par ménage a évolué au même rythme que le prix des logements. Avec la spéculation immobilière des années 2000, le prix des logements a augmenté de 129 % entre 2000 et 2019, bien plus vite que le revenu des ménages (+ 36%).

En France, en 2020, 58,7% des ménages sont propriétaires du logement qu’ils occupent. Les autres biens immobiliers (résidences secondaires, logements mis en location, immobilier professionnel) sont en revanche beaucoup plus concentrés : seuls 17,9 % des ménages sont propriétaires d’un bien immobilier autre que leur résidence principale.

Contrairement à une image souvent véhiculée par les médias, la population des bailleurs privés n’est donc pas constituée d’une masse de petits propriétaires. En réalité, pour l’immobilier de rapport, la logique d’accumulation présente de fortes similitudes avec le marché boursier. Comme le soulignent diverses études, ce sont des actifs dont la détention ne devient significative que dans les hauts patrimoines, les hauts revenus, et chez les titulaires d’un diplôme élevé [3].

La « rénovation urbaine », si elle est nécessaire, est trop souvent dévoyée pour accélérer le nettoyage social dans les quartiers pauvres. Les démolitions, expulsions, constructions de logements trop chers conduisent à la gentrification, c’est-à-dire la migration des classes populaires vers la périphérie, et leur remplacement par des populations plus aisées... souvent elles-mêmes chassées par l’installation de catégories riches dans les centres-villes.

Trop souvent, les logements sociaux sont bâtis selon des normes techniques minimales, entraînant une consommation énergétique excessive, qui se répercute sur le budget des occupants et des occupantes, mais aussi sur l’environnement.

Conséquence directe de l’envolée des loyers et de l’immobilier des années 2000, le nombre d’expulsions manu militari n’a jamais été aussi élevé : on a dénombré, en 2018, 15.993 expulsions forcées, 169% de plus qu’en 2000. Cette croissance a été bien plus rapide que celle du nombre de locataires, si bien que le risque d’expulsion a plus que doublé sur la période.

L’Union communiste libertaire revendique

Sur le front du logement comme sur les autres fronts de lutte, l’UCL promeut l’action directe des premières et premiers intéressés, et pousse à des revendications de rupture, c’est-à-dire mettant en cause les fondamentaux mêmes du système capitaliste : la propriété privée et la loi du marché.

C’est ainsi que les luttes démarrées pour l’amélioration immédiate des conditions de vie – un habitat digne – peuvent conduire à une prise de conscience anticapitaliste plus large. Dans ces luttes, l’UCL poussera vers les revendications faisant prévaloir le droit au logement sur le droit de propriété et défendra un modèle urbain fondé non sur la loi du marché, mais sur un vaste service public du logement socialisé.

Pour l’UCL, l’urgence c’est :

  • Le blocage des loyers pour stopper la flambée des prix dans les villes, casser la spéculation, permettre aux travailleuses et aux travailleurs de respirer.
  • La réquisition des logements vides et leur socialisation quand il apparaît que leur inoccupation est délibérée, et ne poursuit que des fins spéculatives.
  • Une taxe dissuasive sur les mètres carrés inoccupés, qu’il s’agisse de locaux commerciaux ou de logements.
  • L’application réelle de la loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbain) qui définit le seuil minimal de logements sociaux dans les villes. Les exécutifs municipaux, en particulier les maires, qui ne respectent pas le taux de logements sociaux doivent être révoqués et rendus inéligibles.
  • L’isolation du bâti et l’application de normes environnementales élevées pour réduire l’empreinte écologique du logement, et faire baisser la consommation énergétique des résidentes et résidents.
  • L’accession au logement social pour les migrantes et migrants sans papiers.
  • Pas d’expulsion de bidonvilles sans un vrai relogement social durable prenant en compte les situations familiales.

Mais permettre un accès au logement pour toutes et tous n’est qu’une étape. Pour résoudre la crise du logement, il est nécessaire, à l’exact opposé de la tendance lourde à l’œuvre dans ce pays, de développer un vaste service public du logement socialisé, et de circonscrire le marché de l’immobilier.

Ce projet suppose :

  • L’expropriation des spéculateurs et la socialisation, dans chaque commune, de l’ensemble du parc locatif (logements, locaux professionnels et commerciaux), et des terrains non bâtis.
  • L’interdiction d’acheter un logement si ce n’est pour l’habiter. La propriété d’usage doit être distinguée de la propriété lucrative ou spéculative.
  • La mise en place d’un service public d’attribution, dans lequel l’accès au logement ne serait plus fondé sur la hiérarchie des revenus, mais sur les besoins sociaux  : taille de la famille, distance par rapport au lieu de travail, etc.
  • La création de services publics socialisés permettant à toutes et à tous un accès aux besoins élémentaires tels que l’énergie, le chauffage, l’eau… Cet accès universel comportera la fourniture d’une part gratuite de ces services, part correspondant à ce que les collectifs d’habitants définiront comme « normale », compte tenu des capacités de fourniture de la société et des équilibres écologiques.
  • Le versement d’un loyer conçu comme une contribution sociale, dont le rôle est non pas d’assurer une rente à des propriétaires privés, mais de financer l’entretien et la construction de l’ensemble du parc immobilier.
  • La planification de l’aménagement urbain, pour être démocratique et écologique, doit se faire au niveau le plus local possible. Cet aménagement résorberait peu à peu la ségrégation spatiale, limiterait l’étalement urbain sur les terres agricoles, redistribuerait les services publics, abrogerait les zones commerciales géantes au bénéfice des commerces de proximité.

C’est sur ce contre-projet que l’UCL appuiera son opposition à la politique gouvernementale de casse du logement social. Celle-ci se traduit par la baisse des aides personnalisées au logement (APL), la réduction des financements publics, l’obligation à la concentration des bailleurs sociaux, l’incitation des organismes HLM à vendre à la découpe et à se financer en empruntant à des banques commerciales… Autant d’éléments d’une stratégie de soumission du logement social à une logique de marché et de rentabilité.

Une stratégie fondée sur l’action directe

Les revendications les plus justes n’ont aucune chance d’aboutir sans organisations de lutte pour les porter, les populariser et les mettre en œuvre concrètement. De nombreuses organisations agissent sur le front du logement, et relèvent, principalement, de trois types de démarches :

  • L’action caritative, dont l’objectif est de traiter l’urgence «  humanitaire  », sans s’attaquer a priori aux causes du mal-logement ;
  • L’ouverture de squats d’habitation, qui permettent un hébergement d’urgence, mais sans chercher à créer un rapport de forces pour obtenir de nouveaux droits collectifs ;
  • La réquisition de logements, qui met en œuvre l’ouverture de squats pour pallier les carences d’hébergement d’urgence, dénoncer le gâchis capitaliste des immeubles vides, et créer un rapport de forces pour obtenir un relogement et des droits sociaux. Dans cette optique, les squats peuvent constituer un point d’appui important pour les luttes. Cette stratégie est celle du Droit au logement (Dal) depuis 1990, mais a également pu être suivie par d’autres structures comme Droits devant !, la Campagne de réquisition d’entraide et d’autogestion (Crea) à Toulouse, ou divers collectifs de travailleurs sans papiers. Cette stratégie promeut l’auto-organisation des mal-logées et des sans-logis. Elle met en œuvre des actions directes de réquisition, articulées avec une revendication sur des droits nouveaux, pour tous et toutes.

C’est dans le sens de cette stratégie, au sein des organisations de lutte à vocation large et pluralistes qu’agissent les militantes et militants de l’UCL, en parallèle d’une expression politique propre sur la question du logement.


UN PROCESSUS DE SYNTHÈSE

Lors de leur congrès d’unification de juin 2019, Alternative libertaire et la Coordination des groupes anarchistes ont décidé de ne pas
faire table rase de leurs orientations et élaborations passées, mais
de les synthétiser et actualiser progressivement. Ce texte a été adopté lors de la coordination fédérale de l’UCL d’octobre 2020.

[1Insee analyses n°39, 18 juillet 2018.

[2« Les ménages modestes écrasés par le poids des dépenses de logement », Observatoire des inégalités, 12 décembre 2017.

[3Arrondel L., Bachellerie A., Birouk O., Chaput H., Savignac F. (2011), « Les comportements patrimoniaux des ménages en France. Évolutions et déterminants entre 2004 et 2010 », Bulletin de la Banque de France n° 185, 3e trimestre 2011.

 
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