Ni Dieu ni maître d’école : Cempuis, une oasis de liberté studieuse




L’orphelinat Prévost de Cempuis confié à Paul Robin entre 1880 et 1894, c’est tout un programme libertaire qui prend soudain vie dans un lieu qui va ouvrir des perspectives jusqu’alors inconnues par l’école de la République. C’est une nouveauté singulière car Cempuis est sous tutelle du ministère de l’Instruction publique et en recompose largement les règles en vigueur ailleurs.

Ils et elles ont de 4 à 16 ans et sont orphelin.es d’au moins un parent. Après une évaluation de trois à six mois, 447 jeunes intègreront de manière définitive l’orphelinat. Une équipe choisie par Robin selon un cahier des charges exigeant est chargée de reconstituer pour ces «  élèves  » une famille communautaire où, comme dans n’importe quelle famille, les jeunes et les adultes (les éducateurs y vivent aussi avec leurs familles) interagissent dans une intimité qui reconstitue la vie d’une famille naturelle.

On abat les murs qui séparent les jeunes garçons des jeunes filles. Trois heures par jour sont consacrées à des activités au choix qui permettent de découvrir ce vers quoi le goût et les aptitudes de chacun.e le ou la portent. L’approche éducative est fondée sur l’action, la découverte empirique et il n’y a pas d’a priori méthodologique qui freine la créativité. Au contraire celle-ci est renforcée par des activités réalisées dans des environnements et avec des outils éducatifs inédits pour l’époque  : un jardin botanique, une presse typographique qui permet de réaliser en commun les ouvrages, des laboratoires divers permettant de mettre en pratique les principes scientifiques, une bibliothèque bien fournie permettant d’étudier les sujets de cours et au-delà, etc.

Les cours se font dès que possible en plein air, pas uniquement selon les instructions des programmes mais aussi en fonction des sujets qui préoccupent les enfants, et l’activité physique est centrale  : c’est tout le programme de l’éducation intégrale que Robin met en pratique, et de fait, il veut former un être humain complet, intellectuel, manuel, physiquement et psychiquement équilibré dans toutes ses dimensions.

C’est une école du travail aussi, où l’on va à la rencontre des travailleurs du quotidien. Car les sorties pédagogiques sont nombreuses et permettent de connaître les métiers qui composent la société représentée en-dehors de l’école. Les ateliers artisanaux, la boulangerie et l’échoppe du cordonnier sont visités, tout comme la nature qui environne l’orphelinat. On en ramène des sujets de cours, des activités à réaliser, des rêves de futur professionnel émancipé et fier de son œuvre. Et comme la société évolue, et vite, on apprend aussi la sténographie, on se penche sur la géologie, et nombre d’autres sciences appliquées.

Et à partir de 1890, c’est l’école qui s’ouvre sur la société par des visites de personnes intéressées par l’expérimentation. C’est ensuite Robin qui anime des conférences dans les villes de l’Oise puis plus largement en France. Et c’est alors une renommée qui commence à s’étendre et amène avec elle l’ombre des forces réactionnaires. Quel sera le sort de cet îlot de liberté dans une IIIe République triomphante, installée et aux mains des républicains bien-pensants  ? Pourquoi l’expérience ne sera pas poursuivie au-delà de 1894, c’est ce que nous verrons le mois prochain. D’ici là, que 2019 soit, pour nous, révolutionnaire  !

Accattone

 
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