Bassin de Thau : Sète populaire contre yachts de milliardaires




Quand la défense de l’emploi rencontre la lutte contre la gentrification : dans l’Hérault, les syndicats CGT veulent mobiliser les gens à la fois comme travailleurs et comme habitants d’un territoire menacé d’être transformé en zone d’attraction touristique.

Les huîtres de Bouzigues, le muscat de Frontignan, les canaux de Sète, son port et sa fête de la Saint-Louis, ses kilomètres de plages… le territoire du bassin de Thau résonne dans tous les imaginaires et nous renvoie aux plus belles chansons de Brassens, fameux anarchiste du cru.

Mais un territoire, ce n’est pas que des belles images. Un territoire, c’est avant tout un espace que des habitants et habitantes organisent pour répondre à leurs besoins, au premier rang desquels l’emploi et les services publics. Or, depuis plusieurs semaines ce sont ces deux piliers, indispensables à la dignité et à l’émancipation, qui sont frappés par les vagues néolibérales sur l’ensemble du bassin de Thau (Hérault).

Fin septembre, quelques jours après l’annonce de la suppression d’une trentaine de postes à l’hôpital du Bassin-de-Thau – une centaine en tout depuis 2013 ! –, le maire de Sète (et par ailleurs PDG de la clinique privée de la ville) faisait part de son souhait d’« externaliser » (on ne dit plus privatiser, c’est un gros mot) les services de nettoiement et de ramassage des ordures du centre-ville. Ce sont ainsi 80 agents et leurs familles, sans compter les contrats occasionnels, qui voient l’horizon s’obscurcir à brève échéance.

À côté de cela, la convention TER, en négociation entre la Région et la SNCF, envisage de fermer des guichets en gare de Sète et de Frontignan. Pourtant, dans le même temps, des projets de pôle d’échange multimodal (PEM) d’un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros sont prévus sur ces deux communes, promettant d’en faire des coquilles vides !

On pourrait en rester là, mais non, malheureusement, le secteur industriel n’est pas en reste. Sur le port de Sète, un des plus importants de la côte méditerranéenne, c’est l’usine Saipol, productrice de biogazole, qui doit baisser le rideau six mois en 2018, mettant 89 employé.es au chômage partiel. Avec une très forte crainte que cette mise à l’arrêt ne devienne définitive. Or Saipol représente près de 20 % de l’activité du port. Sa disparition mettrait en danger toute la filière économique liée à cette infrastructure centrale : logistique, transport, dockers, etc.

Et quand l’emploi reste sur le port, les droits ne sont plus respectés : le recours à des occasionnels sous contrat précaire est devenu la norme, fragilisant les dockers permanents qui tentent tant bien que mal de résister.

Des fumigènes sous la neige

Constatant la convergence des attaques contre l’industrie et les services publics, aux conséquences dramatiques sur l’emploi local, les syndicats CGT des différentes branches se sont rencontrés et ont décidé d’orga­niser un temps fort sur Sète. Le samedi 2 décembre, par une matinée hivernale, une manifestation interprofessionnelle a réuni plus de 500 personnes sur les quais de la ville. Un beau succès pour une cité de 40 000 habitants !

Agentes et agents territoriaux et hospitaliers, salarié.es du port, cheminot.es, dockers, enseignantes et enseignants, tous ensemble et rejoints par la population, ont défilé en cortège compact et dynamique jusqu’à la gare, sous les rougeurs flamboyantes des fumigènes de détresse fournis par les pêcheurs locaux.

Une délégation des dockers du port de Fos-Marseille a même fait le déplacement en solidarité avec leurs collègues de Sète et ont contribué à l’ambiance. Sans oublier un finish sous la neige, mémorable sous ces latitudes peu habitués aux flocons. Fort de cette réussite, la mobilisation doit se poursuivre dans le temps et la durée car elle n’est que la première étape du rapport de force à construire.

Le « droit à la ville »

Pour résister à l’offensive, l’expérience des luttes tend à nous montrer que la clef du succès repose sur une alliance et une solidarité sans faille entre les travailleuses et les travailleurs concernés, la population et les usagères et usagers des services publics.

Dans le cas présent, un mot d’ordre rassembleur et efficace pourrait être celui du « droit à la ville et au territoire pour toutes et tous » [1]. En effet, derrière les attaques contre l’emploi se cache un véritable projet politique. Cette entreprise de régression sociale, de casse des services publics et des emplois industriels, apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est : la face émergée de l’iceberg, vaste et glacial, de la restructuration urbaine capitaliste.

Un exemple parlant : le jour même où était annoncée la privatisation de plusieurs services publics, le quotidien local titrait à la une sur la création d’une marina de luxe à Sète, en vue d’accueillir des yachts de 100 mètres (excusez du peu) ! Pas sûr qu’un parking pour bateaux de mégalomanes richissimes concerne l’ensemble de la population…

Les habitantes et les habitants ne s’y trompent pas, puisque très rapidement s’est monté un collectif contre ce projet de marina pour méga-yachts. Le lien reste à faire avec les salarié.es en lutte, mais la cause est la même. Cette restructuration du territoire répond aux impératifs capitalistes, et non aux besoins de la population et des travailleurs. Elle ne conduira qu’à accélérer la gentrification de la ville, le développement d’un tourisme de luxe. Évincées du centre-ville et du littoral, les classes populaires seront repoussées en périphérie.

Les travailleuses et les travailleurs voient leur emploi dégradé et menacé ; les habitantes et les habitants se voient spoliés de leur cadre de vie. Ces deux populations sont en partie les mêmes. L’unité et la solidarité sont une condition primordiale pour faire prévaloir le droit à l’emploi et le droit à la ville et au territoire pour toutes et tous.

Julien (AL Hérault)

[1Sur ce sujet, lire le dossier spécial « La ville est à nous ! », Alternative libertaire, janvier 2015.

 
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