Palestine : Réconciliation Hamas-Fatah : vœu pieu ou réalité ?




Le 12 octobre, un accord de réconciliation a été signé au Caire après des années de division par les deux principales forces palestiniennes : le Fatah qui domine l’Autorité palestinienne et le Hamas, qui dirige la bande de Gaza soumise à un blocus total depuis 2008. Cet accord suscite l’espoir pour les Palestiniennes et Palestiniens mais aussi des interrogations.

Du passé peut-on faire table rase ? La seule chose vraiment signée à Oslo, en 1994, a été l’obligation pour l’Autorité palestinienne (AP) d’assurer la sécurité de l’occupant israélien et de pourchasser les opposants à ces accords : Hamas, Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, marxiste), Jihad islamique (nationaliste et religieux).

La poursuite de la colonisation et le licenciement de centaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes qui travaillaient en Israël ont vite rendu très impopulaire ce pseudo « processus de paix ».

L’occupation a détruit l’économie palestinienne. Le fait de redistribuer un argent venu de l’extérieur ne pouvait qu’entraîner corruption et clientélisme. En particulier à Gaza, dès 1994, de véritables mafieux, ont mis le territoire en coupe réglée, avec à leur tête Mohammed Dahlan, membre du Fatah et chef des Forces de sécurité préventive de l’AP.

La division et la fragmentation territoriale de la Palestine sont une grande victoire de l’occupant. En décidant d’évacuer en 2005 les colons installés à Gaza, Ariel Sharon avait sans doute prémédité la fracture.

La victoire électorale du Hamas en 2006 n’a été que partiellement un vote d’adhésion à sa vision religieuse de la société, et largement un vote de protestation. Un premier gouvernement d’union nationale voit le jour en 2006, et Ismaël Haniyeh (Hamas), devient le Premier ministre palestinien, conformément au résultat des élections. Aussitôt, l’Europe et les États-Unis décident de couper les vivres, provoquant une terrible crise économique en Palestine. Les salaires des fonctionnaires ne sont ainsi pas versés pendant des mois.

Divers témoignages permettent de reconstituer ce qui s’est passé à Gaza en 2007 : poussé par l’Occident et sans doute aussi par le président de l’AP, Mahmoud Abbas, Mohammed Dahlan a préparé un coup d’État pour « neutraliser » le Hamas. Voyant qu’il allait échouer, il s’est enfui en Égypte, laissant ses troupes déclencher le putsch et se faire massacrer. C’est ainsi que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza.

Déjà appliqué de fait depuis des années, le blocus de Gaza est alors devenu hermétique avec l’approbation tacite de l’AP, dont le siège est à Ramallah en Cisjordanie.

La division palestinienne est très impopulaire en Palestine. Beaucoup estiment que c’est une honte, une victoire de l’occupant et que « les partis ne pensent pas à la population mais à leurs propres intérêts ».

Plusieurs tentatives de gouvernement d’union nationale se succèdent alors sans résultat. En avril 2014, un accord est enfin signé. Un gouvernement de technocrates palestiniens proches du FMI est nommé. Deux mois plus tard, Israël attaque Gaza. C’est le grand massacre de l’opération Bordure protectrice. Après le cessez-le-feu, le Hamas, estimant avoir joué un rôle essentiel dans la résistance à l’occupant, hausse ses exigences et ce gouvernement d’union disparaît. En deux mois, il n’aura eu que le temps de supprimer la formation des enseignants et enseignantes à Gaza !

Des problèmes difficilement surmontables

Lors d’un séjour à Gaza en mai-juin 2016 [1], nous avions pu rencontrer tous les partis politiques. Pour le Fatah, appuyé sur ce point par les petits partis de gauche, Parti communiste (PPP), Union démocratique et Front de lutte, le Hamas exerce une forme de dictature. Mais surtout, il contrôlerait toute une économie souterraine (certains ont même parlé de « ville souterraine »), détournant pour ses hommes pétrole et électricité. Ce serait là l’explication des pénuries chroniques. Le Hamas est également accusé d’avoir recruté, sur des bases clientélistes, des dizaines de milliers de fonctionnaires dont on ne connaît ni les noms, ni les compétences, et qu’il paie avec l’argent qu’il reçoit de ses soutiens étrangers. Le Fatah est semi-légal à Gaza. On sait où trouver ses dirigeants mais, depuis sa grande manifestation de 2012, il n’a plus le droit de défiler.

Le Hamas qualifie quant à lui l’AP de collabo. Il lui reproche d’avoir abandonné Gaza lors des trois grands massacres des dernières années, d’avoir pour principale préoccupation d’essayer de renverser le gouvernement de Gaza au lieu de lutter contre l’occupant et d’imposer des taxes exorbitantes (300 %) sur le fuel importé pour faire fonctionner la centrale électrique, qui seraient la raison principale de la pénurie (4 à 6 heures d’électricité par jour).

Ces accusations de part et d’autre sont probablement vraies. Les partis les plus unitaires, qui s’entremettent systématiquement en cas de conflit inter-palestinien ou qui apportent leur médiation sont le FPLP et le Jihad islamique.

Deux projets politiques exsangues et sans avenir

Depuis plus de vingt ans, l’AP s’est déconsidérée avec un pseudo processus de paix qui a favorisé le rouleau compresseur colonial. Sa stratégie d’espérer que la communauté internationale permette la création d’un État palestinien ne mène nulle part. Ses échecs répétés face au colonisateur accélèrent son impopularité. D’autant plus qu’Abbas, dont l’élection remonte à 2005, n’a plus aucune légitimité et apparaît comme l’homme de l’Occident.

Le Hamas est également en situation d’échec. Il voulait faire de Gaza le prototype d’un mini-État islamique, mais la société résiste. Le Hamas escomptait recevoir une aide étran­gère mais, pour des raisons différentes, les pays qui l’ont aidé à certaines périodes (Iran, Syrie, Turquie, Qatar) se sont retirés. Bien sûr, le Hamas a résisté à ceux qui, en créant une pénurie généralisée à Gaza, espéraient le renverser. Mais, dans une situation de grave crise économique et sociale, il se rend impopulaire par son autoritarisme, en étant aussi éclaboussé par la corruption et même en collaborant parfois avec l’occupant, selon des témoignages reçus de paysans et de pêcheurs.

La division a pris, à Gaza, des allures incroyables : quand on y rentre depuis Israël, il y a deux check-points, celui de l’AP et celui du gouvernement de Gaza. Il y a aussi deux doyens à l’université al-Aqsa. Il existe trois types de fonctionnaires à Gaza : ceux qui sont payés par Ramallah et travaillent (surtout les profs et les médecins), ceux qui étaient payés par Ramallah à la condition expresse de ne pas travailler et ceux qui ont été recrutés par le Hamas sur base clientéliste et qui sont payés (par lui) avec de faibles salaires.

Avant l’accord

C’est Mahmoud Abbas qui a déclenché les hostilités en licenciant (ou en mettant à la retraite d’office) de nombreux fonctionnaires puis en cessant de payer le pétrole et l’électricité importés à Gaza, plongeant le territoire dans une crise grave, y compris sur le plan alimentaire.

Le Hamas a riposté en signant un accord avec Dahlan. Ce mafieux est devenu le rival d’Abbas et l’homme des Émirats. L’accord stipulait que Dahlan utiliserait ses amitiés avec l’Égypte pour mettre fin au blocus de la frontière de Rafah. L’intervention de Dahlan a sans doute décidé Abbas à changer de cap.
Interrogés, les amis gazaouis semblent dire que, cette fois-ci, c’est sérieux. Il y a des problèmes faciles à résoudre. La question du contrôle des frontières et des importations de carburant n’est pas un obstacle insurmontable. Et puis Hamas et Jihad islamique ont émis le désir de rentrer dans l’OLP, qui reprendrait ainsi un rôle central. Il semble que cela ait été accepté.

Mais une réconciliation inter-palestinienne dépend, pour beaucoup, de l’étranger. En 2014, Israël avait attaqué pour la briser. La destruction d’un tunnel le 30 octobre avec la mort de plusieurs combattants du Jihad islamique avait sûrement pour but de provoquer une nouvelle guerre. Les partis gazaouis ne sont pas tombés dans le piège.

En Égypte, immédiatement après l’effroyable attentat contre une mosquée soufie (365 morts) le 24 novembre dans le Sinaï, la frontière avec Gaza a été fermée.

Il fallait s’y attendre, l’accord bute sur la question des fonctionnaires. La question sociale s’est réinvitée à Gaza. Les fonctionnaires de l’université, dont les salaires ont été fortement baissés, se sont mis en grève.

Quand celles et ceux qui étaient payés depuis dix ans à ne rien faire sont venus reprendre leur place à ceux que le Hamas avait recrutés pour les remplacer, ils en ont été physiquement empêchés par ces derniers.

Le Hamas peut accepter de redevenir un simple mouvement politico-religieux, il ne peut pas se couper de sa base sociale en la plongeant dans la misère.

L’homme et la femme de la rue en Palestine se plaignent souvent : « Il nous manque un Mandela ». Dans cette Palestine fragmentée par l’occupant, il n’existe plus d’idée ou de stratégie largement majoritaires et s’unir quand on n’a ni continuité territoriale ni État n’a rien d’évident.

Pierre Stambul (ami d’AL)


Vers une nouvelle Intifada ?

La décision de Donald Trump reconnaitre Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël et d’y transférer l’ambassade des Etats-Unis qui légitime un peu plus a politique d’annexion du gouvernement de Benjamin Netanyahu a suscité une vague
de colère en Palestine et un peu partout dans le monde et la désapprobation de la « communauté internationale ».

Dès le 8 décembre des manifestations de protestations se sont déroulées dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, ainsi dans bon nombre de pays. À Paris plusieurs centaines de personnes se sont rassemblés le 10 décembre à l’occasion
de la réception de Benjamin Netanyahu par Emmanuel Macron.Le Hamas, qui a lancé le mot d’ordre d’une « nouvelle intifada » immédiatement après la décision de Trump, appelle à faire de chaque vendredi une « journée de rage ».

Les tirs à balles réelles des forces israéliennes lors des affrontements de ces dernières semaines ont déjà faits de très nombreux blessés et plusieurs morts. L’un d’eux, Ibrahim Abou Thouraïa, amputé des deux jambes en 2008 après une attaque israélienne, et qui manifestait en chaise roulante, est devenu le symbole de la contestation. Le 18 décembre Israël a bombardé des positions du Hamas à Gaza après des tirs de roquettes.

Alors que les accords de réconciliations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne semblent s’enliser, la mobilisation populaire pourrait permettre un front uni en cas de nouvelle guerre d’Israël. En France il est crucial d’intensifier les protestations contre la décision de Trump et de participer aux manifestations contre l’occupation et la colonisation de la Palestine.

[1Ce séjour est raconté dans Chroniques de Gaza, mai-juin 2016, éditions Acratie.

 
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