Chroniques du travail aliéné : Rosette, directrice de foyer pour personnes âgées




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel, psychologue du travail.

« Je n’en peux plus, gérer une équipe c’est dur, j’ai des débordements. Il faut être toujours derrière elles. Parfois la cocotte minute explose…

Avant j’étais infirmière à l’hôpital, depuis quelques mois j’ai pris la direction d’un foyer pour les personnes âgées. Enfin… je suis directrice-intendante-infirmière-animatrice ! Et j’ai 10 personnes – non diplômées – sous ma responsabilité. Elles aussi participent à tout sauf à la gestion et aux soins infirmiers, bien entendu. Les gens vivent dans leurs petits appartements, dans leurs meublés, elles doivent leur faire la toilette, le ménage, la cuisine, les servir à table mais aussi l’animation, des ateliers, etc.

Il y a des exigences de travail sur lesquelles je ne passe pas. Je fonce tête baissée, je veux que les choses soient faites à ma façon. Elles disent que j’ai toujours quelque chose à redire. C’est vrai que je dois prendre du recul. Mais il y en a une, genre « syndicaliste » qui exagère. S’ils ne veulent pas de douche, c’est courant, surtout les hommes, il faut les stimuler et elle, elle a vite fait d’accepter leur refus. Et en plus elle ne change pas les draps s’ils ne sont pas propres. Autant de moins à faire. On trouve souvent de la vaisselle qui traîne sur les tables quand c’est elle qui est de service. Je lui rentre dedans…

L’autre jour, je l’ai secouée par le bras parce qu’elle refusait d’aller chercher les légumes à l’épicerie, elle m’a traitée de tarée. Je l’ai convoquée à mon bureau, elle a voulu quitter son poste… Ce qui me met hors de moi, c’est que l’épicière fait ça pour nous rendre service, c’est minuscule son magasin et on l’encombre beaucoup si on ne va pas chercher les cageots au moment où ils sont livrés chez elle. On est dans un village, l’épicerie reste ouverte tant bien que mal mais pour combien de temps ?

Il faut être sur tous les fronts, les gens ne se rendent pas compte. Je ne suis pas originaire d’ici, la syndicaliste si. Elle connaît les résidents, ses collègues, même l’épicière, depuis toujours, alors, évidemment… Je ne fais pas le poids avec mes grandes idées. La théorie c’est bien, la mise en pratique c’est une autre affaire… Je travaille soixante heures par semaine, je n’ai plus de patience nulle part… Tout ça pour « le soin » ! Il faudrait aussi parler des familles des résidents ! Je ne sais plus où j’en suis. »

  • Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.
 
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