Éducatrices de jeunes enfants : Coup de colère philanthropique




Rares sont les luttes dans le secteur de la petite enfance, mais elles ­peuvent exister, et même obtenir gain de cause ! Démonstration avec la lutte du foyer L’Abri temporaire d’enfants, à Paris XIIIe.

En janvier 2016, des salariées de ­l’Abri temporaire d’enfants, géré par la Société philanthropique à Paris XIIIe, interpellent leur direction : bien que les 19 salarié.es de la structure (une maison d’enfants à caractère social, accueillant des jeunes de 2,5 à 11 ans) fassent le même travail, il existe trois niveaux de salaires. Pourquoi donc ? Parce qu’il y a trois niveaux de diplômes : monitrices et moniteurs éducateurs (ME) ; éducatrices de jeunes enfants (EJE) [1] ; éducatrices et éducateurs spécialisés (ES).

Après un échange infructueux de courriers pour réclamer « à travail égal, salaire égal », puis une menace de grève, la direction temporise en octobre 2017 en laissant entendre que le salaire des EJE rattraperait celui des ES en 2018, et que les ME pourraient être formé.es pour obtenir le diplôme ES ou EJE.

Sept mois passent. Le 15 mai, ne voyant toujours rien venir, les 6 EJE de la structure sautent le pas, et se mettent en grève reconductible.

Culpabilisation par rapport aux enfants

Au début, la direction ne nous prend pas au sérieux, balaie nos revendications et nous somme de reprendre le travail en nous culpabilisant par rapport aux enfants – une tactique habituelle dans le secteur social.

Mais notre détermination et notre unité restent intactes. Dans la ­lutte, chaque décision est prise au consensus hors de la présence de la direction, puis nous faisons front commun dans les négociations. Peu à peu, la Société philanthropique constate avec dépit que nous connaissions nos droits. Le remplacement de grévistes par des intérimaires ? Illégal. Les négociations ? Uniquement en présence de l’Inspection du travail. En parallèle, nous avons médiatisé notre action avec succès (tracts, page Facebook, pétition, caisse de grève, cortège dans les manifs et prise de parole en AG interpro...).

Et au bout de plusieurs jours de grève (22 au total) : la victoire ! Un engagement écrit sur l’essentiel de ce que nous demandions, avec un effet rétroactif depuis janvier 2018, et le paiement des jours de négociation ! C’est même une double victoire, parce que les salariées sortent de cette épreuve plus fortes, plus conscientes de leurs droits, plus confiantes dans leurs capacités : une section syndicale SUD a vu le jour au cours de la grève ; chacune a pu se frotter à la prise de parole, de contacts, à la rédaction de courriers, de pétition, de tracts ; ­chacune a pu assimiler les pratiques collectives (tour de parole en AG, écriture inclusive, recherche du consensus...)... et expérimenter en quoi la lutte peut être émancipatrice à la fois en tant que travailleuses et en tant que femmes.

Nous avons à présent envie d’aller au-delà de nos revendications locales : améliorer la convention collective 51 qui entérine l’inégalité entre ES et EJE, soutenir d’autres secteurs en lutte… et défendre ardemment nos métiers du social !

Émy (AL Grand-Paris-Sud)

[1C’est à dessein qu’on ne masculinise par les EJE dans cet article : ce sont essentiellement des femmes, d’où sans doute le frein sur leur rémunération.

 
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