Culture

Lire : Audin, « Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871 »




Pourquoi un article sur un livre paru, il y a quelques temps déjà ?
Tout d’abord, dans le contexte singulier que nous traversons, Libertalia, avec d’autres, fait parti de ces éditeurs qui accompagnèrent le confinement d’une proposition de téléchargements gratuits d’ouvrages dont celui-ci et il faut les en remercier.

Pourquoi un article sur un livre paru, il y a quelques temps déjà ?
Tout d’abord, dans le contexte singulier que nous traversons, Libertalia, avec d’autres, fait parti de ces éditeurs qui accompagnèrent le confinement d’une proposition de téléchargements gratuits d’ouvrages dont celui-ci et il faut les en remercier.

Ensuite, nous approchons d’un anniversaire important d’une dame respectable : la Commune.
Cet ouvrage, constitué d’ une somme des écrits de Varlin permet de se faire une idée plus juste du militant qu’il fut, mais aussi de l’homme. Une succession de lettres et d’articles, égrainé au fil de la vie d’Eugène Varlin, dans un style agréable, permet de voyager en sa compagnie , de percevoir l’homme et ses proches, par des renvois biographiques.

L’auteure évite la tentation hagiographique du Varlin « christ prolétarien », qui connut certes un chemin de croix avant de mourir mais qui, parions le n’aurait pas partagé de tels récits.
L’ensemble est à recommander pour qui veut pénétrer et se pénétrer de cette époque, riche en élaboration , débats et revendications. L’auteure de cette compilation fort réussie anime un blog fort complet sur la Commune de Paris.

Eugène Varlin, l’infatigable militant

Ce livre débute par une sorte litanie relatant ses actions militantes .
Varlin est né en 1839, dans une famille de paysans, en pleine période de paupérisation rurale. Grâce au sacrifice de ses parents, il échappa à la fabrique qui enrégimentait dans la région dès l’âge desept ans et put aller en classe jusqu’à treize ans. Varlin fut élevé par son grand-père dans le souvenir de la Révolution de 89. Il entra en apprentissage à Paris comme apprenti relieur.

Varlin fut dès lors sur tous les fronts...d’une militance riche en créativité et toujours en phase avec sa classe sociale et ses désirs émancipateurs. Citons la participation à la création de la Société d’épargne et de crédit mutuel des ouvriers relieurs dont il fut élu président. Puis la formidable aventure de la première Internationale dès les débuts, ses responsabilités au bureau parisien de celle-ci, sa participation effective à la conférence de Londres en 1865 où il fit forte impression à Marx, s’opposant même à ce dernier sur la règle que seuls les travailleurs devaient occuper des fonctions nominatives dans l’organisation, fidèle en cela à la devise de la première internationale : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». En 1866 il créa la « caisse du sou », fonds de solidarité destiné à soutenir les travailleurs en grève, participa au premier congrès de la première internationale.

Varlin fut mis en minorité sur deux points : le travail des femmes et l’instruction des enfants. Varlin s’opposa aux proudhoniens sur la question du droit au travail des femmes. Tout en connaissant et reconnaissant la pénibilité du travail, il revendiqua l’accès légitime au travail pour elles, assorti de la revendication d’égalité salariale.

Au nom des mêmes principes de justice et d’égalité, il s’opposa également à l’idée de la famille, lieu naturel d’éducation, optant pour que « la société prenne l’éducation à sa charge »,
A partir des années 1867, toute son énergie allait tendre à soutenir les actions de grèves . Il ne put se rendre à Lausanne, au deuxième congrès de l’Internationale mais il le prépara et s’opposa au Conseil général pour non exécution des décisions du précédent congrès et non envoi à temps de l’ordre du jour des débats, rendant difficile l’étude des textes et le plein exercice démocratique.

Varlin promut une vision plurielle et élargie de la cause ouvrière, liant le travail, l’éducation, le droit des femmes, la consommation et l’entraide. En 1868, il fonda la coopérative de consommation “ La Ménagère ” puis il créa un restaurant coopératif “ La Marmite ”.

Cette même année, l’Association internationale des travailleurs passa en procès et, à la fin des plaidoiries, fut dissoute. L’intervention d’Eugène Varlin fut particulièrement remarquable par « la rigueur du raisonnement, la concision et la vigueur de l’expression, un dynamisme lié à sa colère de classe, l’ironie dénonciatrice contre les exploiteurs, mais aussi une grande chaleur humaine envers les opprimés. » (Paule Lejeune) Cette harangue le conduisit en prison.

L’année 1869 vit le mouvement social grossir parmi la population ouvrière. Varlin décrivit un « mouvement presque magique qui s’empare des masses. »

En janvier 1870 il cosigna ce texte : « Que les réactionnaires ne s’y trompent pas, s’il ne s’agissait que de présenter nos poitrines aux balles, nous n’hésiterions pas à répondre à leurs incessantes provocations. Mais ce qu’il importe avant tout, c’est d’assurer le succès de la Révolution et tout en ayant conscience de notre force, nous nous recueillons. La coupe est pleine, elle ne tardera pas à déborder. À la Révolution de choisir son heure. »

Et ce fut la Commune !

En septembre 1870, il appartint au Comité central provisoire des vingt arrondissements de Paris et devint commandant d’un bataillon de la Garde nationale.

Le 24 mars 1871, il participa à la rédaction du manifeste-programme des sections parisiennes de l’AIT. Il fut élu triomphalement le 26 mars au Conseil de la Commune dans trois arrondissements, et nommé à la commission des finances. Il fut responsable de la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières. En Mai 1871, Varlin s’opposa à la création du Comité de salut public.
Fin mai, en pleine Semaine sanglante, Varlin, est arrêté, lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé.

Trop enfermé dans ce costume étroit de héros martyr de la Commune, ce livre redonne à Eugène Varlin toute sa vraie puissance, toute son énergie militante au service des travailleurs et travailleuses.

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Édition Libertalia, mars 2019, 488 pages, 18 euros
 
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