Lire : Deux livres de critique des médias




Comment acérer son esprit critique dans une société constamment en proie à l’industrie médiatique, assaillie de discours irrationnels et bombardée de statistiques biaisées ? Deux petits livres, aux éditions Syllepse et Lux, nous donnent la théorie et la pratique.

Normand Baillargeon, auteur du petit livre d’introduction à l’anarchisme L’ordre moins le pouvoir (Agone, 2001), nous sert ce coup-ci un Petit Cours d’autodéfense intellectuelle. Cette fois l’auteur fournit des outils de défense par rapport au langage et aux mathématiques. Le style simple, humoristique, entrecoupé d’exemples concrets, rend l’ouvrage abordable à un très large public, jeune ou moins jeune, militant ou pas.

La première partie du livre fait quelques rappels sur les propriétés du langage dont tirent partie à la fois les publicitaires, certains auteurs postmodernes, ou des astrologues « diplômées de la Sorbonne »... L’auteur présente ensuite les bases de la logique formelle et passe en revue les erreurs de raisonnements les plus courantes. Enfin, Baillargeon présente, de façon pédagogique, quelques éléments de probabilités et de statistiques que toute personne gagnerait à connaître, au vu de l’utilisation actuelle qui est faite des (mauvais) sondages.

La deuxième partie nous apprend sutout à rester critique par rapport à notre propre expérience personnelle. L’analyse de quelques expériences de psychologie sociale permet d’expliquer pourquoi nous avons tendance, inconsciemment, à négliger les informations qui contredisent nos croyances (qu’il s’agisse des bienfaits de l’homéopathie ou de l’économie de marché) et à privilégier celles qui nous confortent. Ce faisant, il met en lumière quelques uns des mécanismes du conformisme et de la soumission.

L’auteur consacre ensuite tout un chapitre à la science en rappelant certains de ses principes fondamentaux. La science est décrite en théorie, en donnant des éléments d’épistémologie et en pratique, en rappelant qu’elle peut aussi être sujette à des conflits d’intérêts. Baillargeon défend néanmoins la science, avec sa quête d’objectivité et son caractère « autocorrecteur », comme une source cruciale d’informations.

Haine des grévistes

Cette présentation théorique du fonctionnement des médias est ce qui manque, parfois, dans le dernier ouvrage de l’association Action-critique-média (Acrimed), Médias et mobilisations sociales : la morgue et le mépris ? Les auteurs, Henri Maler et Mathias Reymond, se penchent sur le traitement réservé par les médias aux grèves de 1995 et de 2003 contre la casse de la Sécurité sociale et des retraites, et à la mobilisation étudiante contre le contrat première embauche (CPE) en 2006.

On constate que lors de ces trois luttes, les médias « présentaient une prétendue diversité derrière laquelle se cachait en fait l’uniformité » en faveur de la réforme. Tous utilisèrent le chiffre faux de 23 % de chômeurs (au lieu de 7,8 %) chez les jeunes. Tous ont limité le débat sur la réforme des retraites à un choix entre a) un allongement de la durée du travail, b) une augmentation des cotisations, c) une diminution des pensions. Jamais n’a été évoquée la possibilité d’une option d) prélever sur la richesse accaparée par les actionnaires ce qui pose la questions des limites de ce qui est dicible et même pensable !

On peut parfois regretter le côté « morceaux choisis » de certains chapitres du livre de Maler et Reymond. À se demander si l’échantillonnage des sources n’est pas biaisé. C’est d’autant plus dérangeant que l’ouvrage s’en prend aux « micro-trottoirs » comme méthode de distorsion de l’« opinion publique ».

De plus, alors que les auteurs critiquent la personnification des luttes (par exemple, autour de Bruno Julliard, président de l’Unef lors du mouvement anti-CPE), ils ne se privent pas pour autant de personnifier leur critique des médias en s’en prenant préférentiellement à certains journalistes. Encore une fois, cela peut laisser penser qu’il suffirait de se débarrasser de cette mauvaise graine pour assainir l’ensemble…

Toutefois la critique reste relativement constructive et optimiste en rappelant que les médias ont surtout le pouvoir que l’on veut bien leur donner et que l’on peut vaincre contre eux : comme lors de la campagne contre le projet de Constitution européenne ; ou sans eux : quand les étudiant-e-s viraient certains journalistes de leurs assemblées générales au printemps 2006.

Rémi (AL Montrouge)

  • Henri Maler et Mathias Reymond, Médias et mobilisation sociales : la morgue et le mépris ? Éditions Syllepse, 2007, 175 pages, 7 euros.
  • Normand Baillargeon, Petit Cours d’autodéfense intellectuelle, Lux Editeur, 2006, 340 pages, 20 euros. Une édition plus ancienne disponible sur http://fynl.free.fr
 
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