Rencontre européenne de groupes membres d’Anarkismo.net à Paris, février 2010




Ce week-end des délégués de six organisations libertaires européennes se sont réunies à Paris lors d’une rencontre européenne de groupes membres d’Anarkismo.net.

Des membres d’Alternative Libertaire (France), de l’Organisation Socialiste Libertaire (Suisse), du Workers Solidarity Movement (Irlande), de Liberty & Solidarity (Grande-Bretagne), de la Federazione dei Comunisti Anarchici (Italie) et de Counter Power (Norvége) ont passé le week-end à débattre et à se mettre d’accord sur un ensemble de textes et de propositions. Entre autres des propositions pour améliorer la communication entre les différentes organisations, pour améliorer l’analyse commune et la stratégie sur l’organisation des travailleurs, sur les migrations et l’Union Européenne. Nous nous sommes également mutuellement informés des luttes en cours dans nos pays respectifs et du développement de nos organisations.

Paris, le 7 Février 2010

I - L’Union Européenne - Motion adoptée par la Conférence européenne communiste-libertaire à Paris

Nous devons supprimer les obstacles économiques, politiques et civils qui limitent notre liberté et l’égalité dans la vie de tous les jours, et remettre en question le concept de participation dans l’organisation de la société prôné par les dominants. Pour nous, la participation directe est la seule possible sur la base de l’aide mutuelle et de la solidarité.

Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur l’an dernier, alors que la crise économique était à son point culminant. Ce traité donne à la Commission Européenne un « pouvoir absolu » pour lancer des directives garantissant « aux entreprises européennes compétitives un accès aux marchés mondiaux et une sécurité opérationnelle en leur sein ». De plus, la Cour de Justice ne garantit qu’une seule liberté, la liberté du marché, et la défense de la compétition libre comme condition pour précariser la force de travail, la société et l’environnement des 27 Etats membres. Le nouveau Traité offre la perspective de la dérégulation complète du système de production et des services, rendant possible l’application de la directive Bolkestein qui « ouvre la porte à la privatisation complète de la santé, de l’éducation, de l’eau et des retraites ».

Cette stratégie ne prend absolument pas en compte la dévastation causée par la crise économique mondiale actuelle, et balaie les services publics (santé, transport, éducation, eau, logement) au niveau symbolique mais aussi de manière concrète. Elle introduit le marché comme l’instrument de la réalisation des services d’intérêt général et de la satisfaction des besoins (quelqu’un qui économise peut parvenir à avoir accès à des soins médicaux privés, à des retraites capitalisées, etc.). C’est cette Europe qui, depuis le 1er janvier 2009, interdit toute politique fiscale à des fins de redistribution pour la santé, pour les dépenses publiques, pour une protection et des allocations sociales, tout en autorisant des paradis fiscaux à se créer.

Naturellement, les premières victimes de ces politiques de démantelement sont les femmes, qui trouve bien souvent qu’elles doivent se battre seules dans leur tâche quotidienne (prise en charge des enfants, des parents, des membres de la famille). Cela est ressenti particulièrement dans certains pays où, sans aucune assistance sociale, devant même parfosi abandonner leur travail pour cela.

Dans cette situation, le marché du travail et les politiques qui y sont liées peuvent seulement être gouvernées par les règles d’or du capitalisme néo-libéral : libre dérégulation (flexibilité) et précarisation profonde et largement étendue de la force de travail (avec la suppression du droit du travail et des droits sociaux).

Dans une Europe qui s’élargit au même rythme que la crise, cela signifie deux choses : l’utilisation du dumping social et le rejet du droit de grève pour ceux et celles qui revendiquent des conditions de travail égales dans les entreprises délocalisées et relocalisées, toutes au nom de la compétition sociale et de l’économie de marché.

Depuis l’accord de 2007 sur la fléxicurité, la flexibilité qu’ont les entreprises de diriger la main-d’oeuvre n’est rien d’autre que la liberté totale de l’organisation du travail - qui a pour but supposé de garantir la sécurité pour les travailleurs, avec toute la nécessaire adaptabilité qui leur est demandée lors de changement d’emploi ou pendant les périodes de formation continue.

Ainsi, dans un marché du travail dévasté par la crise, nous voyons un retour du slogan de la compétitivité, qui apporte non seulement le dumping social et la privatisation des services essentiels à la population, mais aussi un effort pour réduire le coût du travail à travers des instruments liés au politiques qui augmentent la flexibilité, la mobilité de la force de travail et la capacité à s’adapter.

L’Allemagne, la France et l’Italie – des pays autrefois renommés pour leur fermeté dans le domaine de la sécurité sociale et dans celui des droits du travail – ont réorganisé leur marché du travail intérieur, atteignant le niveau de l’Espagne, de l’Irlande et de la Grande-Bretagne dans des domaines comme l’allocation-chômage, la protection contre les licenciements, l’âge de la retraite, les contrats flexibles, les faibles filets de sécurité sociale.

Les politiques de l’immigration en Europe sont également affectées de la logique de marché et ce à double titre : d’un côté, il y a un besoin de travailleurs de pays extra-européens en raison du vieillissement de la classe laborieuse européenne (cette main-d’œuvre est nécessaire et suffisante pour le genre de travaux précaires rendus indispensables par la compétition) ; et d’un autre côté, il y a des politiques qui dénient le droit à la citoyenneté (ce qui nourrit le racisme en accusant les migrants de clandestinité), qui utilisent la répression et le contrôle dans le but de pérenniser des relations inégales et agressives, des relations d’exploitation entre le Nord et le Sud, particulièrement dans la zone méditerranéenne influencée par l’Europe.

Pour les travailleurs européens comme pour les migrants, la flexibilité revient en effet à être rendu disponible pour travailler selon les besoins de la production. Pour les entreprises, en temps de crise, quand des millions d’emplois sont anéantis, rien de mieux ne pouvait arriver. Le marché du travail devient ainsi un simple mécanisme, qui pourtant agit et est gouverné par des règles (lois, ordres exécutifs, décisions légales ad hoc, directives, etc.) et par les institutions, dans le but d’éviter d’affronter quelque forme de conflit que ce soit.

En suivant ce modèle social et économique, les luttes sociales et les luttes des travailleurs et des travailleuses ont été atomisées, perdant ainsi toute efficacité. Nous avons besoin de voir une recomposition des droits et des intérêts immédiats des travailleurs et des travailleuses, des citoyens et des citoyennes, dans une nouvelle conception et une nouvelle organisation, unitaires et syndicales, du travail salarié.

Nous devons nous opposer à la logique de la segmentation et de la flexibilité des modèles politiques et sociaux du capitalisme mondialisé, et lutter résolument pour le droit de tous les hommes et de toutes les femmes, pour les droits du travail, pour les droits sociaux et pour les droits civils.

Nous devons supprimer les obstacles économiques, politiques et civils qui limitent notre liberté et l’égalité dans la vie de tous les jours, et remettre en question le concept de participation dans l’organisation de la société prôné par les dominants. Pour nous, la participation directe est la seule possible sur la base de l’aide mutuelle et de la solidarité.

Nous devons nous opposer aux concepts de compétition et de compétitivité par leurs exacts opposés : nos concepts et notre pratique de la solidarité.

Tout travail alternatif cohérent, toutes les forces sociales et politiques doivent supporter les droits et les intérêts des travailleurs et des travailleuses, dans une société fondée sur la solidarité et non sur la compétition, sur la base du respect, de la liberté et de l’égalité et non sur la base de l’autoritarisme, de l’individualisme et de l’absence de démocratie. Il n’y a qu’une réponse, la seule réponse possible sur la base de ces valeurs et de ces choix :

Mobilisation sociale :

 pour une Europe des populations et des travailleurs européens comme migrants ;

 pour défendre nos intérêts dans les problèmes d’emplois, de revenus, d’acquis sociaux et la solidarité ;

 pour relancer le pouvoir populaire et la démocratie par en-bas ;

 pour défendre et créer des collectivités populaires, des espaces autogérés au sein de la communauté et sur les lieux de travail, dans le but de donner une base ferme à la lutte anticapitaliste ;

 pour construire une alternative libertaire face à la barbarie de la crise causée par le capitalisme et par l’Etat.

II - Les migrants et les migrations en Europe - Motion adoptée par la Conférence européenne communiste-libertaire à Paris

Communistes libertaires et internationalistes, nous soutenons le droit de chacun-e à se déplacer et à vivre où il/elle l’entend. Nous nous opposons à quelque frontière que ce soit entre les peuples, que ces frontières soient physiques ou psychologiques (racisme, xénophobie).

Tandis que la situation en Europe ne fait qu’empirer, nous devons rendre ce sujet central dans notre activité et notre propagande. 1° Le capitalisme et l’impérialisme comme causes des migrations

En conséquence de changements dans les structures sociales, économiques et politiques du monde, le dernier demi-siècle a vu un niveau sans précédent (dans les temps modernes) de migration en Europe.

Trois facteurs sont particulièrement saillants pour rendre compte de ce développement de l’immigration :

 La néo-colonisation qui a suivi la prétendue “décolonisation” ; les intérêts politiques et économiques des anciennes puissances dominatrices sont encore un place, à travers des dictatures inféodées au pays occidentaux.

 Le fort développement des marchés mondiaux depuis des années 70. Par des moyens coercitifs variés, une part de plus en plus grande de la population mondiale et de ses moyens de subsistance, ont été intégrés dans un réseau mondial injuste. Les régions qui se sont montrées économiquement non-viables du point de vue du capital international sont laissées dans la misère, tandis que des régions riches en ressources naturelles tombent dans l’instabilité politique, dans des régimes despotiques, ou sont agressées militairement.

 L’impérialisme des pays occidentaux, qui apporte la guerre et la terreur dans de nombreux pays, aujourd’hui en Irak et en Afghanistan, demain autre part.

Le résultat commun de ces différentes causes a été que de nombreuses personnes ne voient pas de possibilité d’un futur dans leur pays d’origine, et sont incitées à le quitter. Dans bien des cas, l’argent qu’ils obtiennent est le revenu principal ou unique de leurs villages, puisque les pays occidentaux ont empêché tout développement de l’activité économique.

2° Le développement des racismes d’Etat, et des politiques racistes

Ces dernières années, la xénophobie, le racisme et la peur de l’impact économique de l’immigration ont augmenté pour dominer le débat politique de bien des pays européens.

La raison en est la législation restrictive qui criminalise les migrant-e-s, les articles à sensation de la presse détaillant des crimes commis par des migrant-e-s, et la rhétorique enflammée de politiciens, tout cela accentuant le sentiment xénophobe de la population. Les gens sont amenés à croire que l’immigration sape leur niveau de vie et menace la stabilité sociale. Une telle criminalisation des migrant-e-s sert aussi à distraire l’attention des problèmes sociaux et économiques causés par le capitalisme, et légitime une répression d’Etat de plus en plus forte.

Plus récemment, dans certains pays comme la France et la Suisse, les gouvernements ont essayé d’accuser les migrants de briser la culture nationale et “l’identité nationale”, en apportant leur propre culture et leur propre religion, et ont adopté des lois contre eux et elles, essentiellement basées sur cette nouvelle tendance du racisme qu’est l’islamophobie.

En conséquence de cette propagande, les migrants et les personnes de couleur en général souffrent de discriminations lorsqu’elle cherchent du travail ou un logement. En tant que communistes libertaires, nous nous opposons à toute espèce de discrimination basées sur la couleur ou l’origine aussi bien que sur la classe ou le genre.

Le problème a revitalisé les forces réactionnaires et facilité une expansion des pouvoirs de l’Etat. La détention, la surveillance, le maintien de l’ordre aggressif, et les entraves aux libertés civiles sont de plus en plus étendues. La xénophobie a popularisé des partis dont le programme néo-libéral n’aurait sinon eu aucun impact sur les travailleurs et les travailleuses. La rhétorique employée par de tels partis sert à son tour à enflammer les sentiments xénophobes et à affaiblir la solidarité de classe internationale au bénéfice du nationalisme. En tant que communistes libertaires, nous nous opposons à toute exploitation de classe et à l’Etat, il est important que nous développions une analyse approfondie de ce problème, et que nous trouvions les moyens effectifs de combattre le développement de la xénophobie, des politiques répressives d’Etat contre les migrants, et les traitement inhumains des réfugiés. De plus, nous devons nous efforcer de relier ces luttes à la lutte de classe en général en Europe, et de revigorer le courant internationaliste dans les organisations des classes populaires.

3° Les politiques anti-migrants des pays européens et de l’Union Européenne

A – Politique des pays européen

L’immigration est un effet inévitable des politiques économiques et militaires conduites par les Etats européens ; les efforts concertés pour empêcher l’immigration est le résultat du racisme et de la volonté de ne pas en affronter les conséquences dans ces pays.

La réponse depuis de début de la mondialisation a été d’adopter une série de mesures destinées à empêcher les migrations. L’Europe a adopté des cadres communs sur les migrations, a signé des traités régulant les droits des réfugié-e-s, et a renforcé les contrôles des migrations à la périphérie de l’Europe. La volonté sous-jacente est de maintenir les migrant-e-s en dehors des frontières. Dans les initiatives restreignant l’immigration, les pays européens ont violé des conventions internationales sur les droits de l’homme.

Les lois internationales placent la majorité des migrants dans un statut nébuleux. La plupart des Etats européens n’autorisent pas l’immigration de travail (avec l’exception partielle des migrations à l’intérieur de l’Europe), et de nombreux et nombreuses migrant-e-s ne peuvent obtenir le statut de réfugié-e.

L’accès au travail légal est difficile à avoir. En fait, certains pays décident de quotas et de politiques d’immigration “choisie”, c’est-à-dire n’autorisant que les migrants dont les patrons locaux ont besoin.

De plus, le besoin de travailleurs pour faire les basses besognes a conduit à l’augmentation du travail illégal dans des conditions bien en dessous de celles de la classe laborieuse en général. Cela sert aussi à baisser les salaires et à détériorer les conditions de travail de façon généralisée. Les capitalistes sont en fait parvenus à utiliser les politiques de l’immigration pour obtenir de la main-d’œuvre bon marché.

Cela a permis aux pays européens d’adopter des politiques qui ont sévèrement restreint les droits des migrant-e-s.

L’usage de la détention est généralisé, avec des gens dont le statut légal n’est pas encore décidé, ou dont les demandes ont été rejetées, et qui doivent affronter de longues périodes de détention. De façon générale, le cadre légal autour de l’immigration criminalise les migrant-e-s. Plus dramatiquement, la détention et la persécution des migrants en Europe cause d’immenses souffrances et favorise la croissance d’une sous-classe de non-citoyen-ne-s.

B – La politique de l’Union Européenne et de l’espace Schengen

La politique de l’Union Européenne et de l’espace Schengen est particulièrement impliquée dans la fermeture des frontières, à travers des programmes tels que celui de La Haye, et de l’agence spécialisée Frontex, dont tout le travail est fondé sur l’idée que l’immigration et les migrants sont un problème. Cette agence est en charge de la police des frontières européennes qui accomplit des opérations répressives (comme des arrestations collectives et des déportations) sans aucun contrôle.

La politique “d’externalisation de l’asile” (qui consiste à garder les migrants potentiels dans des camps (ou des prisons) en dehors d’Europe comme au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, en Libye…) a mené l’UE à coopérer avec des Etats dont le traitement des prisonniers et des droits de l’homme sont inacceptables. Par exemple l’UE coopère avec la Libye pour maintenir les migrants hors de son sol.

4° Les luttes de migrant-e-s

Les migrant-e-s ne sont pas seulement les victimes des Etats et du racisme de l’UE, mais aussi de l’exploitation capitaliste. En tant que tel-le-s, ils et elles sont comme n’importe quel travailleur ou n’importe quelle travailleuse, et c’est pourquoi nous ne devrions jamais séparer les un-e-s des autres. Si nous croyons vraiment qu’une injustice pour un est une injustice pour tous et toutes, ne devons nous efforcer d’étendre les luttes de migrant-e-s aux autres travailleurs et travailleuses.

Même si les migrant-e-s et particulièrement les migrant-e-s illégaux hésitent à se montrer trop et donc luttent peu, des telles luttes peuvent arriver quand la solidarité de classe dépasse la peur de l’autre et le nationalisme.

Par exemple, les grèves de migrant-e-s illégaux en France (Printemps 2008, Automne-Hiver 2009) n’auraient pas eu lieu si quelques équipes dans des syndicats nationaux (CGT, SUD, CNT) et des associations ne les avaient pas soutenues. C’est pourquoi les militants révolutionnaires ont un rôle à jouer dans la naissance de telles luttes. En tant que communistes libertaires et internationalistes, nous soutenons de telles luttes. Elles sont une opportunité de combattre le capitalisme, le racisme et le nationalisme en même temps.

Nous devons nous battre pour la liberté de circulation de chacun-e, qui qu’il ou elle soit. Cependant, à court terme, il est important de soutenir toute lutte de migrant-e-s qui puisse populariser de telles luttes dans la population, en soutenant le droit égal à l’éducation des enfants d’immigrés scolarisés en Europe.

Ni la lutte de classe, ni l’humanisme ne sont la solution miracle dans le combat contre les politiques anti-immigré-e-s, mais les deux sont un aspect fondamental d’une stratégie internationaliste. Conclusion

En tant qu’organisations communistes libertaires, nous soutenons :

 la liberté de circulation et des droits égaux pour tous et toutes ;

 le droit pour tous et toutes de vivre et de travailler dans le pays de leur choix, avec sa famille ;

 l’arrêt des arrestations arbitraires ;

 la fermeture des centres de rétention ;

 l’arrêt des expulsions ;

 la régularisation de tous les sans-papiers ;

 le droit d’asile ;

 l’abrogation de toutes les directives et accords européens.

En tant qu’internationalistes nous nous opposons à tout type de frontières ou de barrières entre les peuples et nous nous opposons au renforcement des frontières aux portes de l’UE. Nous combattrons tout type de racisme et de xénophobie comme facteur de division à l’intérieur de la classe laborieuse et comme un problème majeur en soi-même.

Nous combattrons toute discriminations à l’encontre des migrants et des personnes de couleur.

Alternative Libertaire (France)

Federazione dei Comunisti Anarchici (Italie)

Liberty & Solidarity (Grande-Bretagne)

Motmakt (Norvège)

Organisation Socialiste Libertaire (Suisse)

Workers Solidarity Movement (Irlande)

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