Antifascisme

Débat : Sortir des postures pour élargir le soutien à la Palestine




La lutte contre l’antisémitisme est d’abord une nécessité antiraciste mais elle renforce aussi la lutte de solidarité avec les Palestiniennes. Sortir des postures, obtenir la mobilisation la plus large, retrouver une lecture internationaliste : sans ces objectifs en tête, nous resterons dans l’impasse. Deux camarades de l’UCL proposent leur propre analyse.

Alors que la situation empire chaque jour à Gaza et que les actes antisémites sont en hausse alarmante partout dans le monde, nous sommes confrontées à une double impasse.

À droite, la solidarité avec les Palestiniens et Palestiniennes est disqualifiée en étant amalgamée avec l’antisémitisme. Rien pourtant ne peut justifier l’oppression coloniale et le massacre de civils en cours. Dans une partie de plus en plus grande de la gauche, la lutte contre l’antisémitisme est disqualifiée en étant associée à un soutien du massacre en cours, et le discours sur l’instrumentalisation devient prétexte à ne pas la mener. Rien ne peut justifier un tel abandon de la lutte antiraciste.

Ainsi le 3 mars dernier avait lieu une conférence « Contre l’antisémitisme, son instrumentalisation et pour la paix révolutionnaire en Palestine » dans laquelle la plupart des organisations de gauche et de soutien à la Palestine sont intervenues, dont l’UCL. La question de l’antisémitisme n’a pourtant quasiment pas été traitée pour elle-même, mais essentiellement évoquée pour dénoncer son « instrumentalisation ».



Le 7 octobre : une attaque antisémite

Judith Butler, l’invitée phare, a déclaré, tout en précisant qu’iel « ne l’a pas aimée »(sic), que l’offensive du 7 octobre n’est « pas une attaque antisémite » mais « un acte de résistance armée ». L’idée que la situation de domination bien réelle que subit le peuple palestinien depuis des décennies par Israël neutraliserait le caractère antisémite de l’attaque est une idée erronée. Les deux aspects ne sont pas exclusifs. Il s’agit d’une opération militaire planifiée par un acteur quasi étatique, le Hamas. Le fait que le mouvement national palestinien soit actuellement dominé par cette force d’extrême droite ne doit pas amener à confondre l’affirmation de la légitimité de la lutte palestinienne, y compris la résistance armée, avec la manière dont le Hamas la dirige. Les déclarations ouvertement antisémites et complotistes de la direction du Hamas sont nombreuses et documentées. Les nier c’est tout simplement nier le réel.

Il est possible, sans invisibiliser le contexte colonial, de qualifier le 7 octobre d’attaque antisémite, et de distinguer les actions armées contre des militaires ou des colons armés en Cisjordanie et les attentats ou massacres ciblant des civils. Il s’agit de cesser d’amalgamer le mouvement palestinien avec sa direction actuelle. Tenter de faire taire la discussion sur l’antisémitisme en l’amalgamant au soutien à la colonisation ne fait que renforcer les tendances réactionnaires. Déjà dans les années 2000, cette dynamique a été une catastrophe pour les Juifs et les Juives comme pour la cause palestinienne en France.

L’instrumentalisation existe dans toutes les luttes sociales. La lutte contre l’antisémitisme n’y échappe pas, mais faire de cette instrumentalisation l’axe central du discours, sans traiter de l’antisémitisme en tant qu’objet de lutte à part entière et sujet politique légitime en soi, empêche toute prise en compte réelle de la question.

Comparaisons avec l’Algérie

Il est nécessaire de critiquer le sionisme pour sa dimension coloniale et de s’opposer vigoureusement au massacre en cours. Mais si l’on veut construire une réelle solution politique, on ne peut évacuer les persécutions qui ont conduit des centaines de milliers de rescapées de la Shoah à considérer Israël comme un refuge, et plus de 800 000 Juifs et Juives d’Afrique du Nord et du Proche-Orient à s’y rendre. C’est pour cela que le fait national israélien ne peut disparaître par la force. Les comparaisons avec l’Algérie font obstacle à la compréhension d’une chose essentielle : il n’existe pas de métropole vers laquelle retourner, les pays d’origine étant, à plus ou moins fort degré, des lieux de persécutions séculaires des juifs en situation de minorité.

Si l’option diasporiste est celle que nous défendons, construire auprès des Juifs et Juives une alternative désirable au sionisme, ce n’est certainement pas de renforcer leur persécution en diaspora en leur demandant de montrer patte blanche sous prétexte d’antisionisme, mais de construire une réelle lutte contre l’antisémitisme ici. L’atmosphère actuelle accentue le repli communautaire et accroît les projets d’installation en Israël.

Chasse aux sionistes

Il faut rappeler que toutes les critiques qui font du sionisme une explication des malheurs du monde s’inscrivent dans un imaginaire complotiste : celui des Protocoles des Sages de Sion. La dénonciation des crimes de l’État israélien devrait se faire avec la même grille d’analyse que pour les autres États et non en puisant dans un imaginaire raciste. L’antisionisme complotiste est né à l’extrême droite, a été repris en partie par la sionologie stalinienne, et déploie son influence aujourd’hui largement au delà de sa sphère d’origine fasciste. Il a réussi à imposer ses catégories en lieu et place d’une opposition au sionisme sur des bases progressistes. Laisser cette hégémonie culturelle s’installer dans nos mouvements n’apportera ni la paix, ni la justice, ni la révolution, et certainement pas la « paix révolutionnaire » dont se revendiquent celles et ceux qui minimisent le caractère antisémite du massacre du 7 octobre.

Face au massacre à l’œuvre, l’objectif prioritaire devrait être le cessez-le-feu inconditionnel et immédiat. Il faut alors en premier lieu viser à obtenir la mobilisation la plus large. Or plutôt que de chercher à élargir une base de soutien à cet objectif au sein de la société israélienne, mais aussi des Juifs et des Juives, et de l’ensemble de la population au niveau international, ce qui supposerait de ne pas faire de l’antisionisme un préalable au rassemblement, on se retrouve avec des collectifs qui impulsent l’idée qu’il faudrait se focaliser sur une chasse aux sionistes réels ou imaginaires. Ils et elles combattent sous ce prétexte toutes celles et ceux qui ne s’alignent pas en intégralité sur les revendications du Hamas. Un tel choix revient à restreindre le mouvement de soutien au cessez-le-feu, plutôt qu’à pousser les contradictions au sein de la société israélienne et renforcer le camp de l’opposition à la guerre et la colonisation au sein de la minorité juive en diaspora. Il s’agit d’une logique de posture en total décalage avec l’urgence de la situation.

Combattre vigoureusement l’antisémitisme, d’où qu’il vienne et où qu’il s’exprime n’est pas un luxe mais d’un enjeu stratégique, tant pour l’antiracisme que pour la question palestinienne.

Sam (UCL Lyon) et Manu (UCL PNE)

 
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