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Kurdistan : Faire vivre la Révolution, déjouer le piège turc




La révolution en marche au Rojava est la cible des régimes totalitaires d’Erdogan en Turquie et des mollahs en Iran. Une même haine chez eux de la liberté et de l’émancipation. Et tandis que l’Occident regarde ailleurs, la répression s’amplifie.

A l’heure où nous mettons sous presse, l’Iran des Ayatollahs vient d’arrêter Taraneh Alidoosti, actrice célèbre, ainsi que l’avocat Mohammad Ali Kamfirouzi, défenseur des journalistes incarcérées par le régime. Le rapport avec le Kurdistan ? Celui de la collusion des tyrannies qui ne s’y trompent pas en matière de remises en cause de leur autorité. Celui encore de la convergence des dictatures contre les Kurdes, qui ne se lassent pourtant pas de donner le « la » d’une émancipation autogestionnaire, féministe, multi-ethnique. Il n’y a pas d’erreur non plus du côté de la contestation qui reprend le slogan Jîn, Jiyan, Azadî, programmatique depuis 2006 dans les rangs du militantisme kurde et de ses alliées.

Téhéran invoque « l’incitation au chaos » comme charge contre l’actrice iranienne Taraneh Alidoosti. L’État iranien le fait sur la toile de fond de l’immense mouvement de protestation suivant l’assassinat de la jeune kurde Mahsa Amini qui ne donne aucun signe d’essoufflement depuis le 16 septembre dernier. Les mollahs connaissent bien la force du mouvement kurde. Ça n’est donc pas un hasard géopolitique s’ils contribuent consciemment à jouer un rôle de verrou dans le dispositif d’encerclement mis en place par les Turcs depuis un an, qui met la révolution kurde en immense péril.

État de siège quasi permanent

Au lendemain de la défaite de Daesh en 2019, Erdogan organisait une guerre de basse intensité pour étouffer la résistance kurde partout où il pouvait trouver à contourner, voire mépriser, le droit international, y compris en dehors de ses propres frontières. Sa logique : assiéger le Kurdistan de la Syrie à l’Irak, éreinter le moral kurde, normaliser la guerre continuelle.

Trois femmes armées en habits civils defendent Afrin
Le siège des positions kurdes s’organise d’abord à l’ouest, en Syrie. Depuis 2020 la pression sur le Rojava n’a pas cessé.
CC BY 2.0 Kurdishstruggle

Aujourd’hui, le prétexte de l’attentat du 13 novembre dernier à Istanbul [1] fait gagner du terrain au sentiment anti-kurde au-delà de la frange turque la plus réactionnaire.

Deux éléments contextuels dictent le calendrier meurtrier d’Erdogan. D’abord l’élection présidentielle prévue en juin 2023, qui sera la dernière briguée par le sultan au pouvoir depuis vingt ans. Ses enjeux sont de faire oublier une lamentable gestion économique (84 % d’inflation), de justifier la violence incessante du régime à l’égard non seulement des minorités kurde et alévie, mais aussi de toute l’opposition qui finit fatalement en prison, ou pire.

L’autre échéance est celle de la fin de validité du traité de Lausanne (1923), qui théoriquement redonne la possibilité aux populations victimes du découpage de l’Empire ottoman de pouvoir décider de leur sort de manière autonome. Si la partie est évidemment loin d’être gagnée, la fin du traité renouvelle la question des frontières du Kurdistan.

Le siège des positions kurdes s’organise d’abord à l’ouest, en Syrie. Depuis 2020 la pression sur le Rojava n’a pas cessé. Erdogan avait réactivé des cellules dormantes de Daesh, les lâchant contre les villages de la région. Depuis avril 2023 cette tactique s’additionne d’attaques de drones, d’assassinats ciblés de dirigeantes kurdes, d’arrestations de journalistes — d’une intensification tous azimuts.

La Terreur d’État comme politique structurelle

La Turquie désigne évidemment le PKK comme responsable de l’attentat d’Istanbul [2]. Et bien que le sentiment prédominant soit celui d’une atroce intox turque, le 20 novembre elle lance 70 avions et drones qui bombardent écoles, puits de pétrole, silos à grains, hôpitaux, non seulement au Rojava, mais aussi sur le front de l’est, au Basûr (Kurdistan irakien), faisant une quinzaine de mort-es et autant de bléssées [3].

Pour effectuer ces frappes aériennes, il est nécessaire de passer par l’espace aérien russe et étasunien. Erdogan a forcément bénéficié du feu vert de ces derniers.

Tout l’arsenal de la terreur ­d’État y passe : la guerre psychologique s’attaque aux grands symboles de la résistance (Kobanê), laisse les milices de fanatiques de l’état islamique et de supplétifs syriens inspirer l’horreur (corps de militantes calcinés, torturés). Sans parler de l’arme chimique : si la preuve n’en est pas encore formelle, le soupçon des experts semble quasi-avéré [4]. Sans parler du détournement du cours de l’Euphrate pour assoiffer les populations du Rojava et commettre ce qu’un général étasunien qualifie de « nettoyage ethnique » [5].

Des aides pas si désintéressées

Au Basûr toujours, l’armée turque est entrée de plus de 50 km à l’intérieur des frontières irakiennes, au complet mépris des protestations de Bagdad [6], y établissant plus de 36 bases ! Elle assiège les monts Qandil, traditionnelle place forte de la résistance kurde. Ankara pourrit encore la situation en finançant largement le développement commercial de la région contrôlée par son homme de paille, Massoud Barzani.

Alors si la population du Rojava est notoirement solidaire et déterminée à défendre son territoire, elle sait à quoi s’attendre depuis l’attentat à Istanbul. La stratégie turque a affecté le moral kurde, notamment parmi les plus jeunes dont les velléités de quitter le pays sont nombreuses.

CC BY-SA 2.0 Max Gerlach

Pendant ce temps, l’Iran attaque des bases kurdes également en Irak. L’heure est particulièrement sombre. Le verrouillage semble total.

Et pourtant : l’impact de la guerre en Ukraine aura sans doute poussé Biden à vouloir profiter de la situation et y jouer sa propre carte géopolitique. En effet, la livraison début décembre d’artillerie étasunienne lourde au Rojava, peut s’interpréter comme une manière de reprendre pied dans la région abandonnée sous le mandat Trump, pour y faire face tant à Poutine qu’à Erdogan.

Des propos recueillis d’un correspondant de la diaspora kurde en Europe ne s’y trompent pas : « L’Amérique nous aide sur le plan militaire… mais notre satisfaction ne repose pas sur ce soutien destiné à lutter contre Daesh. Nous n’avons demandé la permission de nous défendre à personne, nous nous battons pour établir le confédéralisme démocratique. Comment croire ces pays qui nous ont mis en pièces (en 1920) ? nous n’avons pas confiance dans les États-Unis mais avons des espoirs : tant que nous aurons des armes pour lutter contre l’État turc. Nous n’avons confiance que dans le confédéralisme démocratique et les peuples de la région ».

Plus que jamais, la lutte kurde a besoin de notre soutien, de notre engagement, ici ou là-bas, pour que cette révolution qui ressemble tant à nos projets de société libertaire, autogestionnaires, libérée du patriarcat et du capital, fasse plus que survivre, mais fleurisse  !

Biji berxwedana Kurdistan  !

Propos d’internationalistes kurdes anonymes recueillis par Cuervo (UCL Aix-en-Provence)

[1Le 13 novembre, l’attentat, non revendiqué fait 6 morts et 80 blessées rue Istiqlal à Istanbul.

[2Le PKK a formellement démenti cela et sa stratégie n’inclut jamais les attentats de ce type

 
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