Lire : Chris Ealham, « Barcelone contre ses habitants »




Voilà un petit livre très enthousiasmant pour toutes celles et ceux qui s’intéressent au droit à la ville et aux luttes urbaines aujourd’hui !
C’est la première traduction en français des analyses de l’historien anarchiste Chris Ealham et c’est une petite maison d’édition indépendante et autogérée de Toulouse qui la publie. Encore une bonne raison de s’intéresser à ce livre.

Il est composé de deux parties : la première porte sur la formation du quartier populaire central du Raval à Barcelone entre 1835 et 1936 et la seconde étudie plus précisément la période révolutionnaire à Barcelone en 1936 et 1937.

Dans la première partie, Chris Ealham montre comment se forme un quartier ouvrier au centre de Barcelone, au rythme de la spéculation privée et du bourrage de parcelle pour loger la main-d’œuvre nécessaire à l’industrie naissante.

À partir des années 1920, le Raval connaît une première désaffection du fait du desserrement de l’industrie et de la construction de quartiers ouvriers plus modernes en périphérie. Ne restent dans le quartier que les plus pauvres, les marins, les dockers et tout un sous-prolétariat urbain haut en couleur.

La neutralité de l’Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale attire aussi les bourgeois fêtards et aventuriers qui trouvent à Barcelone une nouvelle capitale de plaisirs et de débauche après Paris. Le quartier du Raval est à la fois miséreux, animé de cabarets, de dancings et d’une importante prostitution, mais encore l’un des creusets du mouvement ouvrier catalan, marqué par l’anarchosyndicalisme (autour de la CNT et de la FAI).

Tout cela explique la construction d’un mythe négatif de ce quartier, connu sous le nom du Barrio chino (quartier chinois qui, malgré l’absence de Chinois, marque bien le stéréotype raciste appliqué aux classes populaires).
Forgé par la petite bourgeoisie libérale (alors opposée à la bourgeoisie monarchiste et conservatrice) adepte de l’hygiénisme et de la réforme urbaine, ce mythe négatif s’est transmis jusqu’à de nombreux historiens d’aujourd’hui. Chris Eahlam s’emploie à le déconstruire et s’appuie sur une relecture des archives pour contrer ces historiens porteurs de leurs représentations de classe et montrer l’importante structuration politique de ce quartier et les perspectives émancipatrices dont celle-ci était porteuse.
C’est particulièrement net dans la deuxième partie du livre qui développe ce que l’auteur appelle « l’urbanisme révolutionnaire », autrement dit la récupération / réorganisation de la ville bourgeoise par et pour la classe ouvrière mobilisée.

Contrairement à la thèse en vogue d’une révolution menée par une foule enragée et incohérente, l’auteur montre la cohérence de cet urbanisme révolutionnaire. Il va des barricades tenues chacune par un comité de quartier qui entravent la circulation bourgeoise et marquent le contrôle ouvrier sur la ville, à la récupération des hauts lieux de la ville bourgeoise transformés en cantines populaires, centres médicaux, bibliothèques ou logements pour les sans-abri. L’urbanisme révolutionnaire désorganise la ville bourgeoise dont l’aménagement sert l’efficacité de l’accumulation du capital, et la réorganise selon les besoins de la classe ouvrière, dans une perspective d’émancipation (un véritable droit à la ville en acte). Il est mis en œuvre par des comités locaux et des syndicats (comme le syndicat du bâtiment, qui prend lui-même l’initiative de construire de nouvelles écoles), sans centralisation.

Malheureusement, avant même la victoire de Franco, cet urbanisme révolutionnaire s’épuise du fait de la reconstruction de l’État central par les ­forces républicaines, avec l’appui direct de la CNT et contre le pouvoir ouvrier local.

Un livre qui donne des armes pour contrer les pseudo-justifications réformistes des grands projets urbains d’aujourd’hui (parfois même au nom d’un droit à la ville dévoyé) et matière à réfléchir sur les stratégies révolutionnaires dans le champ urbain.

Anne Arden (amie d’AL)

Chris Ealham, Barcelone contre ses habitants – 1835-1937, quartiers ouvriers de la révolution, Toulouse, Collectif des métiers de l’édition, 2014, 97 pages, 11 euros.

 
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