Culture

Lire : Colombi, « Pourquoi sommes-nous capitalistes »




Sociologue, Denis Colombi décrypte les mécanismes qui nous insèrent, qu’on le veuille ou non, dans le capitalisme. Ce faisant, il démontre que ce système est avant tout une construction sociale, c’est-à-dire à la fois très concrète et très modifiable !

«  Le capitalisme s’accommode fort bien de la contradiction  »  : même les gens profondément anticapitalistes mènent des vies capitalistes. Partant de ce paradoxe, Denis Colombi pose son regard de sociologue sur un sujet rarement traité par les économistes qui s’attachent à prédire les comportements de l’homo œconomicus, mais rarement à le critiquer.

Il faut bien admettre que nous naissons et sommes toutes et tous socialisées dans le capitalisme. À travers des modèles très stimulants (la figure du chef d’entreprise évolue en fonction de ­l’époque), des conceptions (jardiner, bricoler, s’occuper des enfants est un loisir si ce n’est pas rémunéré) et des dispositifs (l’argent de poche par exemple), une vision compatible avec le capitalisme s’ancre en nous, de façon inconsciente mais très présente  ! Ces socialisations, et notre rapport à l’argent, notre façon de le gérer, variera selon que l’on naît chez des banquiers ou des militantes et militants communistes libertaires. C’est ce qui fait la force de ce système  : on peut s’y insérer de différentes façons.

On ne peut plus échapper au système capitaliste

Denis Colombi rappelle aussi l’existence extérieure de règles, de codes qui s’imposent à nous, qui nous poussent à agir selon des principes capitalistes. L’État a un rôle central  : comme investisseur actif qui peut faire le succès de certains secteurs, mais aussi comme producteur et garant de règles qui protègent les intérêts de ceux qui recherchent le profit avant tout (la propriété privée par exemple). Par ailleurs, même si les modèles utilisés par les économistes ou les hommes politiques ne sont pas conformes aux individus réels, les idées produites grâce à l’analyse de ces modèles vont servir à mettre en place des dispositifs adaptés à ces modèles de départ. Et voilà comment les conceptions de l’homo œconimicus, cet individu qui n’agit qu’en fonction de son seul profit, gardent toute leur vigueur, même si ce modèle est détestable et très éloigné de la réalité.

Polanyi avait théorisé le désencastrement de la sphère économique en dehors de la société. Denis Colombi considère que l’on peut aujourd’hui parler de ré-encastrement de la société dans la sphère économique : on ne peut plus échapper au système capitaliste, qui façonne tout.

Que faire alors pour en sortir  ? Si Colombi évoque quelques pistes, l’objet du livre n’est pas là. Dans sa conclusion, l’auteur nous répète plusieurs fois que le capitalisme est une construction sociale, donc ni le produit d’une nécessité ni une fatalité. Si la transformation d’un système aussi ancré est possible, elle ne se fera que dans le temps long. La première étage, cruciale, est l’évolution, la prise de conscience des individus, grâce aux sciences sociales, et à travers les luttes  !

Cet ouvrage, riche en conseils de lectures, n’est pas le travail d’un militant révolutionnaire qui appelle à renverser le capitalisme. C’est le discours d’un sociologue, qui démontre fort efficacement que c’est très possible !

Mélanie (UCL Grand-Paris sud)

  • Denis Colombi, Pourquoi sommes-nous capitalistes (malgré nous)  ?, Payot, 2022, 384 pages, 21,50 euros.
 
☰ Accès rapide
Retour en haut