Biélorussie : La gauche radicale contre Poutine et Loukachenko

Le destin politique de la dictature biélorusse est intimement lié à celui du pouvoir de Poutine. Pour les opposant.e.s révolutionnaires à Loukachenko, la défaite de l’impérialisme russe en Ukraine pourrait sonner le glas de leur oppresseur.
La guerre en Ukraine dure déjà depuis près de deux mois. En retraite, battue par une résistance massive, l’armée russe s’acharne et laisse derrière elle désolation et fosses communes. Les multiples témoignages d’atrocités affluant des villes dévastées viennent de manière dramatique confirmer la terrible fuite en avant de Poutine et des dirigeants russes. De quoi accélérer la décomposition du pouvoir voir sa chute ?
Si on veut y croire en Ukraine et en Russie, en Biélorussie aussi, les anarchistes et la gauche radicale veulent la défaite totale du protecteur de leur dictature nationale, celle de Loukachenko.
Pour comprendre la gauche radicale, syndicale ou anarchiste biélorusse, il faut analyser le contexte dans lequel elle évolue depuis plus de deux décennies. La Biélorussie naît comme territoire indépendant en août 1991 à la suite de l’effondrement et de l’éclatement de l’Union soviétique. Pays d’un peu plus de 9 millions d’habitants, il a conservé depuis son indépendance une production fortement industrielle (notamment l’industrie chimique), et qui suit le modèle chinois du « socialisme de marché », mêlant contrôle d’État et privatisation partielle.
Loukachenko : vingt-cinq années de répression
Tout comme chez ses voisins de l’ex-URSS, l’effondrement partielle du système politique soviétique a permis dans les premières années la résurgence d’une gauche radicale distincte des vieux partis communistes. Elle est incarnée en Biélorussie par le parti Un monde juste [1]. La mouvance anarchiste, dont les idées avaient été étouffées par le régime autoritaire bolchévique, renaît également. Elle se structure de manière nationale, notamment avec la création d’une Fédération anarchistes biélorusse (FAB) en 1992, mais aussi de manière transnationale, avec la Russie et l’Ukraine, notamment par le biais de la Confédération révolutionnaire des anarcho-syndicalistes (KRAS) fondée en 1995, ou encore l’organisation communiste libertaire Action Autonome, fondée en 2002 [2].
En 1993, apparaît aussi le Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus (BKDP), organisation syndicale qui cherche à échapper au contrôle de l’État sur le syndicalisme qui a cours à la FPB (Fédération des syndicats du Belarus), issue des syndicats soviétiques.
Car entre 1993 et 1994, après une courte parenthèse démocratique, Alexandre Loukachenko prend le pouvoir sur le pays. Soutenu par une coalition de partis (dont le Parti communiste de Biélorusse), il réoriente le pays vers la Russie, renationalise partiellement l’économie et impose rapidement une dictature de fait. Il rétablit les pouvoirs de la police secrète (le KGB), instaure la censure, détruit le droit de manifester, fait emprisonner et torturer les opposantes et opposants. Régulièrement, certains « disparaissent » ou sont retrouvés morts. Ce qui n’empêche pas l’opposition (libérale ou de gauche radicale) de manifester chaque fois que cela est possible, et notamment à chaque élection où Loukachenko est réélu « triomphalement ».
Cette politique, constante depuis vingt-cinq ans, fait que de nombreux militantes militants biélorusses s’exilent, notamment dans l’Ukraine voisine. D’autres passent à la résistance armée, notamment chez les anarchistes. Ceux-ci, dont de nombreux membres sont en prison ou fugitifs, tentent de briser la censure, et de chercher du soutien auprès de leurs camarades occidentaux, via notamment l’Anarchist Black Cross, l’organisation internationale anarchiste de soutien aux prisonniers [3].
Quatre morts, 4 000 blessés, et 30 000 arrestations
Alors que la gestion de la pandémie par le gouvernement a été désastreuse, et que le ralentissement économique augmente la pauvreté et le chômage, la sixième réélection de Loukachenko le 9 août 2020 met le feu aux poudres. Manifestations de centaines de milliers de personnes, grèves dans les usines et les lieux d’études, l’opposition défie le pouvoir pendant six mois, et celui-ci, même s’il conserve le soutien d’une partie de la population, ne se maintiendra que grâce à une répression monstre (4 morts, 4 000 blessés, et 30 000 arrestations) et au soutien de Vladimir Poutine, qui en échange, exigera encore plus de soumission du gouvernement biélorusse. L’opposition, si elle est momentanément battue, reste vivace.

Ainsi, lorsque les rumeurs d’une invasion russe se font plus précises, et que les manœuvres militaires sur le territoire biélorusse se transforment en l’attaque préméditée de l’Ukraine, l’opposition de gauche, syndicale, et anarchiste se range sans hésiter du côté ukrainien.
Concrètement, on retrouve dans la défense territoriale ukrainienne nombre d’exilés biélorusses. Ainsi, une section entière d’anarchistes biélorusses combat au sein de l’organisation d’autodéfense anarchiste du Comité de résistance. Mais la résistance se fait aussi à l’intérieur du pays : ainsi, le BKDP, à travers la voix de son président a ouvertement appelé à la désobéissance civile et à lutter sur les lieux de travail contre la guerre [4]. Le collectif anarchiste Pramen a publié un appel avec un titre clair envers les soldats biélorusses : « Soldats ! L’ennemi est à Minsk, pas à Kiev ! » et déclare soutenir la résistance ukrainienne.
Et ces appels, si on peut difficilement en mesurer l’impact réel dans la population, sont suivis : ainsi en mars, une série de sabotages du réseau ferroviaire se déroule dans toute la Biélorussie. Ces actions, qui se soldent par des dizaines d’arrestations, entravent de manière sérieuse la logistique de l’armée russe.
Conjugués avec des vagues de désobéissance dans l’armée ces sabotages auraient aussi (sans que l’on puisse la vérifier avec certitude) empêchés jusqu’à présent une participation plus active de Loukachenko dans la guerre [5].
Une série de sabotages déterminants
Cette solidarité forte avec la résistance ukrainienne s’explique par une convergence d’ennemis à abattre : il est clair pour nos camarades biélorusses qu’une défaite cuisante de Poutine ne peut qu’affaiblir Loukachenko et peut être, permettre son renversement. De la guerre en Ukraine et de son issue dépend une série de possibles changements politiques dans lesquels la gauche radicale et le mouvement révolutionnaire biélorusse comptent bien jouer un rôle. Liberté pour les peuples, mort aux empires !
Hugues (UCL Saint-Denis)