Numérique

Panoptique fiscale : Big Brother Bercy




Le projet de loi de finances pour 2020 autorise le ministère de l’Économie à aspirer massivement les données des internautes pour soit-disant lutter contre la fraude fiscale. Suite et fin de l’article «  Fliscage partout, justice nulle part  » d’Alternative libertaire de décembre 2019.

Sans trop de bruit, discrètement niché à l’article 154 de la volumineuse loi de finance pour 2020, la majorité En marche a voté la possibilité offerte au fisc et aux douanes de scruter la moindre de nos traces numériques à la recherche de données suspectes. Ce nouveau dispositif de technopolice a été validé le 27 décembre 2019 par le Conseil constitutionnel.

Sous couvert d’une «  expérimentation  » de trois ans, dont personne n’est dupe quand au devenir de norme, la majorité présidentielle a validé la collecte massive et automatisée des «  contenus accessibles publiquement  » sur la plupart des plateformes en ligne – de Facebook à Leboncoin –, soit-disant pour lutter contre la fraude fiscale. Évidement, il ne s’agit pas de lutter contre les milliards d’euros évadés fiscalement, mais bien d’un nouvel instrument de contrôle social.

L’idée directrice est relativement simple et constitue un véritable renversement du principe de présomption d’innocence. Il ne s’agit plus, dans le contexte d’une suspicion individuelle, de chercher des éléments de preuves supplémentaires dans le ca­dre d’une procédure d’enquête encadrée, mais de passer au chalut – d’un algorithme dont on ne connaîtra pas forcément les sources – ce que les internautes publient en ligne, sur eux-mêmes ou à propos d’autres, à la recherche de tout signe susceptible de déclencher une présomption de culpabilité, qu’il s’agira alors de confirmer ou non.

Le mépris de classe à l’œuvre apparaît de manière flagrante : toute personne pourra être suspecte dès lors qu’elle prendrait des vacances un peu trop ensoleillées ou porterait des vêtements un peu trop chics considérés
– par des critères informatisés – comme incompatibles avec ses aides sociales ou sa tranche d’imposition.

Les données « sensibles » aussi concernées

Expérimentation ou pas, ce texte constitue une atteinte disproportionnée à la loi en vigueur sur les données personnelles. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) elle-même a vivement critiqué le dispositif  [1], relevant le caractère massif de la collecte, l’étendue des plateformes concernées, les risques d’auto-censure et rappelant que publier une information personnelle en ligne, même publiquement, ne donne pas un blanc seing à l’État pour en faire ce que bon lui semble, comme bon lui semble.

Notons en particulier que cette collecte de masse ne s’embarrasse pas à discerner la qualité des données. Seront ainsi aspirées, sans précautions particulières, les «  données sensibles  », c’est à dire les données relatives aux opinions politiques et religieuses, à l’orientation sexuelle ou encore celles relatives à l’état de santé. Leur destruction «  au plus tard dans les cinq jours  », donc stockées pendant ce délai, ne doit pas nous rassurer.

S’il en était encore besoin cette nouvelle dérive sécuritaire démontre comment l’État policier sait tirer profit du capitalisme de surveillance des grandes plateformes en en faisant des actrices centrales du contrôle social. Face à cela, il est fondamental de développer une véritable autodéfense numérique, collective, et d’adapter nos pratiques en ligne à cette réalité. Sans quoi nous serons nous-mêmes agents de notre propre fichage.

Étienne (UCL Saint-Denis)

[1«  Collecte de masse : la CNIL critique le mégafichier de Bercy  », 30 septembre 2019, NextInpact.com

 
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