Antiracisme

Violences policières : Partager ou ne pas partager les vidéos ?




Les vidéos de violences policières sont importantes mais ne suffisent pas toujours à obtenir justice et peuvent également poser des problèmes de désensibilisation à la violence ou de déshumanisation des victimes. La question se pose donc de leur diffusion, dans quel contexte, pour quel public, dans quel but politique.

Le 7 janvier dernier aux États-Unis, Tyre Nichols, homme noir de 29 ans, est interpellé par six agents d’une unité spéciale de la police de Memphis, alors qu’il se trouve au volant de son véhicule. L’«  Unité Scorpion  », à laquelle sont rattachés ces six agents, est chargée de «  faire baisser le nombre d’activités illégales dans les quartiers à fort taux de criminalité  » en y déployant un nombre important de policiers dans cette ville pauvre du Tennessee.

Lors d’une interpellation, qui sortait des compétences de l’unité spéciale, n’étant pas sensée régir les potentielles infractions au code la route, les policiers tabassent Tyre Nichols qui décède de ses blessures trois jours plus tard. Une semaine après sa mort, une enquête est ouverte et cinq des six policiers, tous des hommes noirs, ayant participé au meurtre de Nichols, sont licenciés dans la foulée.

Le 27 janvier, quatre vidéos du meurtre sont publiés par les autorités de Memphis. Après quoi, les médias et les réseaux sociaux la repartagent et la société étasunienne assiste à la mise à mort d’un jeune homme par les forces de l’ordre de la ville de Memphis. Ce n’est pas sans rappeler le meurtre d’Eric Garner en 2014 ou celui de George Floyd en 2020 dont la vidéo du meurtre a traversé les frontières.

S’il n’y a pas de vidéo choquante, il est certain que la nouvelle de la mort ne quittera pas le cercle des proches des victimes ou des milieux antiracistes
Photo : Paul Becker

On se rend alors compte de l’importance de l’image  : s’il n’y a pas de vidéo choquante, il est certain que la nouvelle de la mort ne quittera pas le cercle des proches des victimes ou des milieux antiracistes. On peut à juste titre rappeler de ce qu’il advient aux victimes des forces de l’ordre qui n’ont pas eu «  droit  » à une vidéo et à un relais médiatique important.

Néanmoins, une diffusion systématique peut avoir pour conséquence de désensibiliser à cette violence et surtout d’en déshumaniser les victimes. Il ne faut pas attendre d’avoir des vidéos pour prendre acte de la violence de la police à laquelle sont exposées les personnes racisées, ici noires.

Risque de déshumaniser les victimes

Il a beaucoup été relevé que les meurtriers de Tyre Nichols étaient des hommes noirs. Certains viendraient affirmer qu’il ne s’agirait donc pas d’un crime raciste. Il ne faut pas en tirer les mauvaises conclusions  : les hommes noirs sont surreprésentés parmi les victimes de violences policières et la mort de Tyre Nichols ne vient que confirmer le fait que la police est une institution raciste et qu’il ne suffit pas de remplacer les personnes qui l’incarnent pour que les logiques changent, en somme, celles du «  maintien de l’ordre  » des classes populaires racisées.

Bien que les situations soient différentes, nous pouvons tirer des parallèles avec le contexte français. En France, les personnes perçues comme «  arabe/maghrébine ou noire  » sont contrôlées vingt fois plus que le reste de la population (étude Défenseur des Droits 2016) et lors de ces contrôles, la palpation est bien plus fréquente.

La décision du procureur de Basse-Terre en Guadeloupe de requérir un non-lieu contre les gendarmes ayant tué Claude Jean-Pierre, dit Klodo, lors d’un contrôle d’identité en novembre 2020, bien que le meurtre ait été filmé par deux caméras, l’illustre de manière flagrante  : un touriste de métropole aurait-il subi ce type d’intervention ? Si les forces de l’ordre maintiennent une violence coloniale meurtrière, la justice raciste leur garantit l’impunité.

Commission antiracisme de l’UCL

 
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