Antiracisme

1990-2010 : Le MIB et la contre-révolution coloniale




Dans les années 90, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), fort de l’expérience des récupérations et clientélismes des années précédentes, s’impose comme une voix de l’autonomie. Les questions qu’il avancera provoqueront un vent de panique dans le camp colonial à droite comme à gauche.

La décennie 1990 commence avec les émeutes de Vénissieux et de Mante-la-Jolie qui rappellent à la France que les quartiers populaires sont toujours là. Sous le nouveau capitalisme néolibéral mondialisé et l’impérialisme occidental triomphant, les sans-papiers sont exploitées, les enfants issues de la colonisation sont discriminées, soumises au chômage de masse et précarisées. La gauche parle alors de « seuil de tolérance » dépassé en terme d’immigration, assure qu’on « ne peut pas accueillir toute la misère du monde », et Chirac se plaint lui, « du bruit et de l’odeur ».

L’islamophobie commence à s’épanouir en France avec les premières interdictions du voile à l’école (circulaire Bayrou de 1994) avec, en toile de fond, les années de plombs en Algérie qui vont travailler idéologiquement la société : affaire des expulsés de Folembray en 1994 [1] et attentats de 1995.

Le MIB « Justice en banlieue »

La génération militante née de la période des marches essaie de se réinventer, à travers des séries d’initiatives (telles les caravanes de quartiers pour recréer des réseaux). Faisant le bilan qu’une bonne part de leurs luttes n’intéressent plus la gauche, qui, par ailleurs, clientélise les acteurs locaux dans les cités, des militantes créent en 1995 le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB).

Ils mèneront un certain nombre de luttes importantes : contre la double peine qui sera supprimée en 2003 ; engagement lors des révoltes de Dammarie-les-Lys en 1997 et 2001 avec l’association Bouge qui Bouge suite à des crimes policiers ; mouvement pour la mémoire du 17 octobre 1961 ; mobilisation pour la Palestine lors de la Seconde intifada ; ou bien la campagne « justice en banlieue » faisant converger de multiples revendications... Le MIB c’est aussi un apport théorique : c’est lui qui mettra en premier en avant la continuité coloniale du racisme et des pratiques d’État.

Les années 1995-2002 connaissent également d’importantes mobilisations comme l’occupation de l’Église Saint Bernard qui sera l’acte de naissance publique de la figure du sans-papiers, ou encore l’importante marche pour la commémoration de l’esclavage et la question des réparations.

L’ordre symbolique colonial est ébranlé et commence à être nommé. En 2002 parait l’ouvrage La Fracture coloniale [2].

Les réactions ne se feront pas attendre : comme lors de la « beur-mania » ayant suivi la marche de 1983, le PS et la chiraquie vont tenter de surfer sur la mode « black-blanc-beur » qui suivra la victoire de l’équipe de France masculine de football lors de la Coupe du monde en 1998. C’est le retour de « l’antiracisme moral ».

La fracture coloniale - Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire - Éditions La Découverte.

Contre-révolution coloniale

Puis, avec le 11 septembre 2001, la campagne présentielle de 2002 axée sur la question de l’insécurité qui verra Jean-Marie Le Pen accéder au second tour, on assiste à un tournant conservateur à droite... comme à gauche : l’accusation « d’islamo-gauchisme » apparaît sous la plume de Pierre Andrée Taguief ; sous Val, Charlie hebdo prend un virage atlantiste et islamophobe ; Mouloud Aounit, porte-paroles du MRAP, sera violemment attaqué pour avoir dénoncé l’existence de l’islamophobie. Enfin avec « l’affaire du voile » et la loi de 2004, l’État « siffle la fin de la récré ».

Le MIB sera à l’initiative, avec d’autres, de la mobilisation « Une école pour toutes et tous » contre la loi de 2004, boycottée par l’écrasante majorité de la gauche 3. Suite à ces mobilisations et en réaction à la loi de 2005 sur le rôle positif de la colonisation, des militantes lancent l’appel des « indigènes de la république » qui aura un important retentissement, avec de slogans percutant comme « si nous sommes ici c’est que vous étiez là-bas » et « va te faire intégrer ».

Avec les révoltes en banlieues, l’année 2005 sera ainsi le point d’acmé de la question coloniale qui devient dès lors incontournable. Le Sarkozysme sécuritaire y répondra entre un volontarisme de visibilité via la promotion de la « diversité » et un débat empoisonné sur l’identité nationale.

Aujourd’hui, la contre révolution coloniale française doit désormais faire face à la révolution décoloniale mondiale. Le MIB aura ainsi pavé la voie à une nouvelle génération née de ces luttes. Les années qui suivront verrons les premières grèves de sans-papiers en 2008, la création du FUIQP (Front Uni des immigrations et des quartiers populaires) en 2011 à Créteil qui s’inscrira dans sa continuité.

Les acteurs et actrices du MIB, après avoir initié les FSQP (Forums sociaux des quartiers populaires) entre 2007 et 2011 tenteront un travail de transmission d’expérience et de mémoires auprès des comités « vérité et justice », et seront actifs et actives autour du comité Adama.

Nicolas Pasadena (Commission antiraciste de l’UCL)

La mixtape Justice en banlieue, ils ont pris le maquis pour le MIP, Eska Prod, 2021

Les résistances artistiques, « Haut-parleurs » des cités et des luttes

Dans les luttes de l’immigration, les démarches artistiques seront à la foi un outil et un champ de bataille, louvoyant entre récupération et diabolisation.

Suite au meurtre de Kader à Vitry-sur-Seine en 1980 se créera un collectif musical « Rock against the Police » [3] qui tournera en Île-de-France, créant des réseaux entre jeunes des cités en luttes. Ce seront des concerts auto-organisés près des lieux de vies mettant en avant l’objectif de se réapproprier l’espace des cités, notamment de l’occupation policière. C’est à cette époque qu’apparaît le slogan « flics hors des cités ». Dans un but d’autonomie à la foi artistique et politique, la radio Beur FM est alors lancée dans la foulée des radios libres.

Des groupes comme Carte de séjour avec Rachid Taha émergent ces années-là et seront des compagnons de route des luttes des marcheuses et marcheurs. Mais la « beur-mania » médiatique tentera une récupération de ces dynamiques artistiques en mettant en avant des parcours de réussite dépolitisants.

Dans les années 1980, des résistances plus informelles naissent dans les milieux contre-culturels et la rue, entre groupes antifas, punks, des gangs comme les Requins Vicieux et les premiers acteurs du mouvement hip-hop. Ils contribueront à chasser les skins nazis de quartiers parisiens comme les Halles et faire reculer les agressions racistes. Libérant par la même occasion des espaces d’expression artistique : entre virées de tags dans le métro parisien et fêtes hip-hop organisées dans les terrains vagues de La Chapelle.

Ces démarches s’inscrivent dans des formes de résistances moins reconnues mais bien concrète. En 1997, 19 rappeurs et rappeuses se réuniront pour composer le morceau « 11.30 contre les lois raciste » dont les fonds seront reversés au MIB [4].

La radio Skyrock (où Malek Boutih ancien porte-parole de SOS Racisme sera directeur des relations institutionnelles !) voulant surfer sur la mode « black blanc beur », sera accusée dans un fanzine du groupe rap La Rumeur de faire une mainmise commerciale et dépolitisante sur le hip-hop. La radio portera plainte, sans suite, mais le Fanzine se retrouvera curieusement sur le bureau de Sarkozy qui leur attentera une procédure judiciaire longue de 10 ans pour l’article « Insécurité sous la plume d’un barbare » [5].

Le groupe gagnera en 2010. De nombreux autres procès contre des rappeurs auront lieux. Tout comme la polémique récente contre Médine, il s’agit de la construction de l’épouvantail et la mise en scène de l’exigence de loyauté, ce qu’Abdelmalek Sayad appelait « l’injonction au silence faite aux immigrés » : injonction d’invisibilité, d’apolitisme et de politesse. Sus aux artistes qui ne la respecte pas !

[119 algériens suspecté sans preuve d’accointance avec le FIS - front islamique du salut - sont expulsés au… Burkina Faso !

[2La fracture coloniale - Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire - Éditions La Découverte.

[3À propos de Rock against the police voir la série documentaire qui lui est consacrée sur rapdocsonores.org. Le nom est un hommage aux marches et au festival Rock Against Racism, organisé à Londres en avril 1978 avec le soutien de l’Anti-Nazi League qui virent se réunirent plus de 100 000 participantes. Des groupes de punk et de reggae tels que The Clash, Buzzcocks, Steel Pulse, The Ruts ou encore Sham 69 en étaient les têtes d’affiche.

[4« Classiques de la subversion : 11’30 contre les lois racistes », Alternative libertaire, n°186, juillet-août 2009

[5Hamé, « Insécurité sous la plume d’un barbare », lmsi.net, 18 mai 2016. L’article dénonce « les centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété ».

 
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