Antivalidisme

Téléthon : Humiliation et bons sentiments en prime time




Une fois n’est pas coutume, le mois de décembre est l’occasion de voir des personnes handicapées sur notre écran. Tous les ans, depuis 1987, le Téléthon a pour objectif de lever des fonds pour financer la recherche contre des maladies génétiques [2]. Mais derrière les bonnes intentions, se cache une vision dépolitisée et discriminante du handicap.

Imaginez une émission de télé, 30 heures de direct, diffusée sur les chaînes publiques, avec des stars du show biz, et au centre des personnes minorisées. Tout le monde s’apitoie sur leur sort tragique et appelle à la générosité pour les sauver. Impossible ? C’est pourtant ce que subissent les personnes handicapées, tous les ans.

Les 8 et 9 décembre 2023 aura lieu le 37e Téléthon en France. Depuis 1987, chaque année, l’émission qui se targue d’être le plus long direct ayant jamais existé – et qui est à peu près la seule image médiatique du handicap – diffuse un flot de représentations misérabilistes aux conséquences dévastatrices pour les personnes handicapées : impact immense sur leur estime de soi et sur la manière dont iels sont considérées dans la société, aux répercussions indéniables en terme de discrimination dans l’accès à l’emploi, au logement, à des études, à une vie affective et sociale… Il promeut une vision exclusivement médicale du handicap (le handicap est dans le corps, qu’il faut réparer) qui exclue toute dimension sociale.

Ainsi, le Téléthon n’aborde jamais le sujet sous l’angle de l’inaccessibilité de la société et de l’exclusion des personnes handicapées, alors même que ce sont ces aspects qui impactent le plus leurs conditions matérielles de vie, et qu’il serait simple d’y remédier si l’intention politique était là.

C’est que cette vision médicale du handicap arrange bien les capitalistes. Insister sur la réparation des corps plutôt que sur l’adaptation des conditions de travail permet de distinguer les personnes employables, parce que productives - sur lesquelles on peut donc mettre la pression pour qu’elles le soient toujours plus – et les autres, des charges pour la société, que l’on peut laisser vivre avec une allocation adulte handicapée sous le seuil de pauvreté, ou exploiter plus encore dans des ESAT, qui échappent aux règles du droit du travail.

Sous la bienveillance, les discriminations

Le validisme a cela de particulier qu’il se manifeste, peut-être plus que les autres rapports de domination, sous une forme « bienveillante ». Discours pavés de bonnes intentions, dégoulinants d’émotions, le rendant plus difficilement identifiable et critiquable.

Et le Téléthon en est un exemple criant, qui contribue à dépolitiser la question et à faire diversion : on peut tranquillement organiser une campagne de dons de grande ampleur, et dans le même temps réduire les budgets des hôpitaux ou supprimer l’aide médicale d’État, qui privera les personnes sans papiers de l’accès aux soins. Le « malheur » qui frappe les personnes handicapées n’est alors plus une affaire de santé publique, mais relève de la charité, au passage sélective quant à l’appartenance raciale de ses bénéficiaires.

Depuis des années, les militantes antivalidistes dénoncent cette aberration qu’est le Téléthon [1]. Écoutons-les et rejoignons-les dans leurs luttes. Le combat contre le validisme concerne toute notre classe sociale, les personnes handicapées, et les autres.

Julie (UCL Fougères)

[1Voir par exemple l’intervention d’Elisa Rojas dans Arrêt sur Images en 2004, les articles sur le site du CLHEE en 2014, 2017 et 2019, ou le « contre-téléthon » organisé par les Dévalideuses en parallèle de l’édition de cette année.

[2Plus de 90 millions d’euros de dons récoltés en 2022, 106 millions en 2006, année record.

 
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