Antiracisme

Lire : Roland Cros, L’incorrigible, itinéraire d’un bagnard ordinaire




Aux archives nationales d’Outre-mer, à Aix-en-Provence, Roland Cros découvre les traces d’un homonyme qui porte le prénom de son père. Quelques documents lui apprennent que « Louis Cros, dit “Minel”, matricule n° 8157, né à Lacaune (Tarn) le 7 octobre 1832, avait été condamné aux travaux forcés par la cour d’assises de l’Aude le 23 février 1857 pour vol avec effraction, que son état de récidiviste “se donnant à l’oisiveté et au vagabondage” l’avait automatiquement conduit, en sa qualité d’irrécupérable, au bagne colonial de Guyane et qu’il y était mort le 6 novembre 1867 ». Hanté pendant plusieurs années par l’itinéraire de ce bagnard ordinaire, il décide de s’en inspirer pour réaliser les quatre-vingt-dix planches en noir et blanc d’un roman gravé, sans parole.

Faute de parvenir à se faire embaucher, Louis Cros se retrouve à la rue, condamné à la mendicité qui ne lui permet pourtant pas de subsister. Après un cambriolage, il est bêtement arrêté en flagrant délit pour un vol à l’étalage et expédié au bagne.

La vie quotidienne du bagne est ici illustrée avec une précision documentaire : l’organisation des travaux forcés et les lieux de punition. Pendant leur temps libre, les prisonniers s’abandonnent souvent à des activités qui, par une judicieuse mise en abyme, complètent en quelque sorte le récit de leur vie, en l’illustrant à leur tour de façon symbolique : sur leur propre corps avec des tatouages improvisés, sur les murs de leur cellule avec des graffitis vengeurs ou libidineux.

Peu à peu, les oiseaux qui survolent les premières scènes, sont allégoriquement remplacés par des rats et des araignées qui observent l’enfermement. Roland Cros décline dans ses images toute une grammaire savante qui guide le regard du lecteur. Ses cadrages, par exemple, soulignent l’exclusion permanente de la société des plus pauvres : face à ceux qui sont intégrés sans être pour autant beaucoup plus riches, face à la justice, face à l’arbitraire du système pénitentiaire.

Avec une grande science de l’image et de la narration, Roland Cros retrace le parcours de cet homonyme qu’il a tiré de l’anonymat pour raconter la fatalité qui frappa tous ses semblables. Il montre combien les travaux forcés sont une peine disproportionnée, appliquée par une société avant tout soucieuse de se débarrasser de ses indésirables, et dont on revient rarement, confronté à une justice de classe impitoyable avec ceux qu’elle souhaite exclure.

Ernest London, Le bibliothécaire-armurier

  • Roland Cros, L’incorrigible, itinéraire d’un bagnard ordinaire, éditions L’Echappée, 2023, 192 pages, 22 euros.
 
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