Numérique

Applis, drones... l’alibi sanitaire d’une surveillance généralisée




Depuis le début du confinement, les gadgets et outils numériques brandis comme « solutions » de crise déferlent. Des drones aux applications mobiles de « santé », tout est bon pour tester... et espérer prendre des parts de marchés. Loin d’être des outils proportionnés et uniquement calibrés pour la crise, ils définissent une vision « solutionniste » du capitalisme qui se veut l’ultime remède à tous les maux.

Les drones sont de sortie ! Toutes les options y sont : détection infrarouge, mégaphones embarqués qui somment les individus de rentrer chez eux, communication des positions des individus à la police, prise de température, etc. Les entreprises spécialisées dans la fabrication, le reconditionnement ou le traitement des données des drones n’ont pas loupé l’occasion pour faire du placement de produit auprès de la police et de gendarmerie [1]. Entre la collecte de données de terrain à grande échelle et les digues du respect de la loi qui ont sauté au nom de l’urgence sanitaire, chaque entreprise veut sa part du marché.

Prenons l’exemple des opérateurs téléphoniques. Comment sait-on que la capitale a été désertée par 12% de ses habitantes et habitants ? Ce chiffre ne tombe pas du ciel, mais des antennes relais des opérateurs téléphoniques : il suffit de comptabiliser les connexions sur les bornes. Si ces données sont certes agrégées et anonymisées, nous ne doutons pas des parts de marché très lucratives que leur vente représente [2].

Ces derniers jours, en prévision d’un éventuel déconfinement conditionné, l’idée qui monte en France est de lancer une application, StopCovid, sur l’exemple de TraceTogether développée par Singapour. Une fois installée sur son smartphone, StopCovid permettrait de signaler sa propre contamination au Covid-19 aux personnes côtoyées. La finalité, non garantie, de gagner du temps sur la propagation de la maladie, laisse des questions ouvertes : l’installation de l’application sera-t-elle consentie ou obligatoire ? Si le consentement est demandé, quelle est la garantie pour que la pression sociale et patronale n’en fasse pas une obligation ? Quid des personnes sans smartphone ? [3]

Inutile de lister les dangers de ces outils pour gérer notre vie quotidienne. L’histoire nous montre bien que les mesures d’exception deviennent la règle une fois la crise dépassée : loi Renseignement, inscription de l’état d’urgence permanent dans la loi, fichage ADN, etc.

« Il n’y a pas besoin de disposition législative »

Les réponses combatives se font rares. Pis, le président de Reporters sans Frontières, Pierre Haski, est allé jusqu’à déclarer à la radio : « Les sociétés asiatiques se révèlent bien plus réactives que l’Europe pour adapter des technologies existantes à une nécessité urgente. Elles sont aussi plus tolérantes face à des technologies intrusives dans nos vies privées […]. Mais au milieu d’une pandémie comme le Covid-19, qui refusera qu’elles soient déployées si elles permettent d’en accélérer l’issue ? Il sera toujours temps de s’inquiéter après… » [4] La fin justifie les moyens ! À cela s’ajoute le « pragmatisme » de la Cnil, garde-fou des libertés numériques en France qui, à travers sa présidente Marie-Laure Denis, tente de nous rassurer : « Il faut aussi [que le suivi individualisé] respecte les principes de la protection des données : proportionnalité, durée de conservation, caractère provisoire, sécurité… Dans ce cas, il n’y a pas besoin de disposition législative » [5]. Difficile, même avec la langue de bois, de cacher que les lignes rouges seront franchies. Rappelons que la proportionnalité est une notion relative, laissant toute liberté au pouvoir de la définir à sa guise.

La rhétorique est bien huilée. À chaque état de crise impliquant la sidération du plus grand nombre, la pensée dominante légitime la nécessité de serrer encore la vis. Apparemment, nous aurions du mal à comprendre que toute revendication de préserver nos libertés est au mieux naïve, au pire criminelle.

« Dispersez-vous ! » Dans plusieurs villes, des drones de surveillance ont fait leur apparition au-dessus des rues vides...

Dénoncer c’est bien, agir c’est mieux

Avec un rouleau compresseur aussi puissant par sa pénétration dans les esprits, il est tentant de baisser les bras et de concentrer son énergie sur d’autres combats jugés plus aisés en période pandémique, comme la solidarité directe. Mais, ce faisant, ne serions-nous pas précisément en train de céder face à la propagande big-brotherienne, aux injonctions incessantes à la responsabilité individuelle ? Et si nous sommes déjà capables d’exprimer une telle résignation, comment pouvons-nous être certains que toute personne un minimum conscientisée refusera d’installer l’application pour tracer la propagation du virus ? Mais alors, comment se battre ? Peut-être en rappelant qu’encore une fois, l’essentiel est ailleurs : dans la responsabilité collective.

Le code source de toute application de traçage doit être public (logiciel libre), le consentement doit être débattu et réfléchi collectivement afin de mieux peser le pour et le contre, les données récoltées doivent être mises hors des mains de l’État et du secteur privé, leur usage doit être limité dans le temps et décidé collectivement.

Pour le pouvoir capitaliste de notre époque, la technologie doit pouvoir apporter une « solution » neutre et efficace à chaque problème de la société. Il faut refuser ce « solutionnisme » dépolitisant [6], car la technique n’est jamais neutre. Prendre le temps de faire ces rappels, d’en discuter avec nos proches, sans culpabilisation inquisitrice, permettra de déjouer le mécanisme d’intériorisation de la servitude volontaire.

Commission Librisme de l’UCL

[6Evgeny Morozov, Pour tout résoudre, cliquez ici  ! L’aberration du solutionnisme technologique, éditions FYP, 2020.

 
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