Culture

Lire : Souvarine, « La contre-révolution en marche »




Dans ce recueil de textes et d’articles, Boris Souvarine analyse entre autres les dévoiements de la Révolution de 1917 et les conditions effroyables faites au prolétariat russe.

Boris Souvarine (1895-1984)  [1] est connu avant tout pour son chef-d’œuvre Staline. Aperçu historique du bolchévisme, auquel il travailla entre 1930 et 1935, au cours de cinq années qui furent pour lui une période d’une activité politique et intellectuelle intense dont le recueil récemment paru chez Smolny est le fidèle reflet.

Expulsé de l’Internationale communiste

Animateur à partir de 1919 du Comité de la IIIe Internationale, dirigeant du jeune Parti communiste français, qu’il va représenter au sein de l’Internationale communiste (IC), son appui aux thèses du Cours nouveau de Trotski lui vaut sa première expulsion de l’IC en 1924. Il relance Le Bulletin communiste en octobre 1925, devenu désormais un outil de l’opposition communiste, où il appelle en janvier 1926 à la formation d’un Cercle communiste Marx et Lénine, ultérieurement rebaptisé Cercle communiste démocratique. En novembre de cette même année 1926, ayant obtenu une copie dudit «  Testament  » de Lénine, mis sous le boisseau par le pouvoir russe, il le fait paraître pour la première fois dans La Révolution prolétarienne.

Alors qu’il s’est irrémédiablement éloigné du communisme «  officiel  », Souvarine lance en mars 1931 ce qui va être, avec son volume sur Staline, la plus belle de ses réussites intellectuelles  : la revue La Critique sociale, à laquelle collaboreront quelques grands noms de l’intelligentsia critique, dont Georges Bataille, Michel Leiris, Raymond Queneau, Simone Weil ainsi que le philosophe Karl Korsch, proche des milieux conseillistes allemands.
Enfin, à partir de février 1933, il écrit régulièrement pour le journal Le Travailleur animé par des transfuges du PCF.

Le livre La Contre-révolution en marche recueille une bonne partie de ses articles parus dans trois des périodiques précédemment cités. Comme le sous-entend le titre du volume, le sujet principal des textes rassemblés ici par Charles Jacquier et Julien Chuzeville est le destin de la révolution russe quelque 15 ans après les « dix jours qui ébranlèrent le monde ».

Le constat qu’en tire Souvarine est accablant à tous égards  : appauvrissement et pétrification de la pensée marxiste en URSS et dans les partis qui s’en réclament, disparition de tous les objectifs que donnait Lénine au mouvement communiste, transformation du parti au pouvoir en « une nouvelle classe privilégiée ».

Un constat accablant sur l’URSS

Certes, dit Souvarine, le régime a tenu malgré les efforts de la réaction mondiale, mais cela s’est fait au détriment de « toutes les notions admises durant la phase initiale de la révolution d’Octobre »  : « L’État et la révolution est devenue littérature subversive, la Constitution soviétique chiffon de papier et le mot de liberté, rayé du vocabulaire, crime de lèse-révolution. » Quant à la situation réelle du prolétariat dans le régime issu de la Révolution de 1917, il la juge de très loin inférieure à ce qu’elle est dans les pays capitalistes avancés, comme le prouvent les effroyables conditions de travail dans les mines du Donetz ou la famine dans les campagnes du sud du pays, causée par la collectivisation imposée de force aux paysans.

Parmi bien d’autres, nous recommanderons la lecture de l’article de 1934 sur les Journées de février, où Souvarine donne quelques intéressantes clés de lecture de l’émergence des mouvements fascistes en Europe ou encore sur la décomposition des deux grands partis marxistes d’Allemagne, incapables de réagir à temps devant la poussée du nazisme.

Enfin, on conseillera aussi la lecture de la partie finale, qui témoigne des campagnes menées en Occident contre le traitement réservé par l’État dit «  soviétique  » à des militants réfugiés en URSS, tels Francesco Ghezzi ou Victor Serge, ou à des intellectuels russes, dont Riazanov, le fondateur de l’Institut Marx-Engels de Moscou. Un fort bon livre, en somme, très soigneusement présenté et annoté par ses deux responsables.

Miguel Chueca

  • Boris Souvarine, La Contre-révolution en marche. Écrits politiques (1930-1934). Édition établie par Charles Jacquier et Julien Chuzeville, Smolny, Toulouse, 2020, 286 pages, 12 euros

[1Souvarine est le nom que Boris Lifschitz, né dans une famille juive de Kiev, emprunta à un des personnages du Germinal de Zola pour signer ses premiers articles, et auquel il resta fidèle jusqu’à sa mort

 
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