écologie

Agriculture urbaine : de la « guerilla gardening » aux start-up capitalistes




Derrière les enjeux affichés tels que l’autosuffisance alimentaire et la végétalisation des métropoles, l’agriculture urbaine institutionnelle est au cœur d’une lutte politique pour le contrôle et l’exploitation de nouveaux espaces urbains. Entre les potagers partagés autogérés low tech et les nouvelles start-up high tech qui privatisent les toits et les parkings ce ne sont pas seulement deux modes de production mais bien deux visions de société qui s’affrontent.

À Paris, depuis 2016, la mairie soutient le développement de l’agriculture urbaine via une politique de végétalisation de la ville  : les «  parisculteurs  ». Tout propriétaire foncier est appelé à proposer des terrains (toits, parkings, façades) devenant supports de concours auxquels participent associations, paysagistes et start-up dans l’espoir de développer leur propre projet d’agriculture urbaine. Anne Hidalgo a ainsi trouvé le moyen de tenir à moindre frais sa promesse de végétaliser 100 hectares de Paris et d’en consacrer un tiers à la production agricole.

Mais contrairement à ce que certains discours suggèrent, cultiver la ville n’a rien de novateur. Au XIXe siècle de nombreux maraîchers cultivaient des terrains dans l’enceinte de Paris et en proche banlieue, jusqu’en 1958 [1]. La mécanisation a ensuite favorisé les grandes surfaces en monoculture face aux petites polycultures plus adaptées en ville.

Une entourloupe sous couvert de participation

Cette disparition de l’agriculture urbaine vivrière a renforcé la portée politique de l’acte de cultiver en ville. Ainsi en 1973, Liz Christie impulse à New-York un mouvement de revendication collective des terrains en friche  : la guerilla gardening. En lançant des bombes de graines et en créant des potagers autogérés, des militantes et militants dénoncent le modèle capitaliste d’aménagement des villes, la spéculation et l’artificialisation des sols. Au droit de propriété, ils opposent le droit d’usage des terrains squattés pour revendiquer par le fait le partage des terres, la production d’aliments sains et moins coûteux, la sauvegarde et la transmission des semences et des savoir-faire paysans.

Quarante ans plus tard plusieurs municipalités françaises s’engagent à développer une nouvelle agriculture urbaine, accompagnée d’une campagne de médiatisation et d’une (re)professionnalisation de l’activité. Les enjeux affichés dans leurs discours détournent les revendications militantes  : autosuffisance alimentaire, protection de la biodiversité, relocalisation de l’économie agricole, renouer avec la nature en ville...

L’économiste et sociologue Silvia Pérez-Vitoria, spécialiste des mouvements paysans alternatifs, explique ce nouvel engouement par la précarisation de la population des pays occidentaux depuis la crise financière de 2008 et par l’implication des classes moyennes de plus en plus concernées par les questions sanitaires et écologiques liées à leur alimentation [2]. Une prise de conscience qui représente avant tout une opportunité politique et un nouveau marché aux yeux des politiciens, ingénieurs et aménageurs.

Pour la mairie les intérêts sont multiples. La politique parisculteurs lui permet de séduire l’électorat en convoquant l’image d’un Paris végétal et nourricier  ; mais aussi de montrer patte verte auprès des institutions européennes qui exigent un certain pourcentage de végétalisation. Une végétalisation placée sous la responsabilité de ses partenaires fonciers privés, et dont l’entretien repose sur les porteurs de projet.

La forme de concours, choisie par la mairie, permet aussi de dépolitiser la pratique de l’agriculture urbaine et de neutraliser la contestation  : c’est ouvert à tous  ! Mais sous couvert d’égalité des chances, seuls les projets les plus rentables et dont les porteurs ont un minimum de capital aboutissent, sans autre grille de sélection que l’adaptation au modèle urbain actuel et au système capitaliste qui l’a produit...
Stratégie à court-terme et discours creux ne nous surprennent pas.

Mais ce qu’il faut voir, c’est que sous couvert d’une politique écologique et sociale la mairie encourage l’exploitation des rares espaces urbains pas encore sous l’emprise du marché. Si les projets associatifs entretiennent la ville à moindre coût, laissant entre des mains bénévoles des enjeux d’intérêt général (lutte contre les inondations, protection de la biodiversité), les start-up d’agriculture urbaine, elles, privatisent l’exploitation de nouveaux espaces urbains.

Dans les parkings des HLM, les nouveaux «  job verts  » consistent à faire pousser des fruits et légumes en environnement contrôlé, qui seront vendus à 10 euros le kilos. Une gentrification verte renforcée par certains discours paternalistes qui voient l’agriculture urbaine comme le moyen d’éduquer les citadins, leur faire prendre conscience de la valeur du travail agricole périurbain, dans l’idée à terme d’augmenter leur consentement à payer pour des produits alimentaires locaux et bio. En bref  : culpabilisation individuelle et déresponsabilisation politique.

Nos communs privatisés

Enfin, la volonté politique derrière l’idée qu’il est possible grâce à une production hors-sol intensive de subvenir à nos besoins alimentaires en milieu urbain, est aussi de justifier l’extension illimitée de l’urbain et l’artificialisation des terres. Pourquoi s’en préoccuper si les parkings peuvent être cultivés et les terrasses retenir les eaux de pluies et accueillir la biodiversité  ? Alors que la France est le pays européen qui consomme le plus de sols agricoles, Sylvia Pérez-Vitoria met en garde et soutient que seule l’agriculture paysanne nourrira l’humanité  : l’agriculture urbaine reste un complément qui peut être bénéfique si elle conduit à «  la recomposition conjointe du rapport ville-campagne  ».

Il est en tout cas vital pour les libertaires de dénoncer les promesses mensongères induisant un monde urbain extensible à l’infini, de lutter contre la privatisation des villes et l’instauration d’un système alimentaire à deux vitesse – bio et local pour les uns, cancérigène et polluant pour les autres.

Mélissa (UCL Orléans)

[1«  Agriculture urbaine. Fonction alimentaire, sociale, écologique... Qu’attendons-nous de l’agriculture urbaine  ?  », Antoine Lagneau, Fondation de l’écologie politique, octobre 2016.

[2«  L’agriculture urbaine, alternative agricole ou alternative urbaine  ?  », Sylvia Pérez-Vitoria, Revue d’ethnoécologie, août 2015.

 
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