Essai : Une histoire populaire des sciences




De la même façon que Howard Zinn avait revisité l’histoire des États-Unis en explorant la manière dont son peuple les avait forgés, modifiés, Clifford Connor – au-delà des « grands mythes » fallacieux – revisite l’histoire des sciences en explorant ses origines techniciennes, artisanales, agricoles.

L’histoire officielle de la science, celle des « grands hommes » en prend un coup. Elle qui veut que des Newton, Bacon, Kepler, Galilée, aient accompli seuls leurs exploits scientifiques, en dehors de tout besoin technique concret, et sans tenir compte des découvertes quotidiennes effectuées dans les moulins, dans les mines et manufactures. Sérieuse mise au point, donc, car ce livre n’explique pas seulement comment la science fut confisquée par l’Académie. Il se livre d’abord à une lecture politique du phénomène.

Le « miracle » grec ? Invention de la Renaissance et surtout d’une modernité ethnocentrée pour justifier la domination occidentale. L’hystérie meurtrière des XVIe et XVIIe siècles qui parcourt l’Europe contre les « sorcières » (100 000 victimes, dont 83 % de femmes) ? Elle se fonde sur une véritable misogynie d’État – signe de la décomposition sociologique de l’époque – étayée par Églises et Académies scientifiques. Il s’agit toujours de couper le vulgaire de tout accès à la connaissance, fidèle en cela aux principes du sinistre Platon qui voulait qu’un « esclave qui produit des choses », ne puisse être « possesseur d’une science supérieure à celle du maître qui l’utilise ». Les académies scientifiques du XVIIe siècle parachèveront le travail de confiscation.

Forcément œuvres collectives, les sciences et leurs « découvertes » sont d’abord la satisfaction des besoins, alimentation, outillage… C’est le génie « humain » tout entier qui est mis à contribution. Recherche et fabrication restent mutualisées, concertées.

Et lorsque l’État et les puissants tentent de confisquer le fruit de siècles d’intelligence collective, le peuple des artisans et des paysans se révoltent : Bêcheux et Nivelleurs du XVIIe siècle reprennent les terres en autogestion. Les luddites du XIXe brisent les machines qui les asservissent et détruisent tout rapport social. Au passage, C. Connor abat les mythes qui voudraient que les marins n’aient jamais exploré la haute mer avant Colomb, ou encore le rôle du hasard en science. Il rappelle que même le grand Léonard se considérait comme un artisan.

Mais surtout, au cours de 560 pages fourmillantes de détails et bien illustrées, il montre comment pas à pas, la Science officielle et ses officines – usines, laboratoires, facultés de médecine, universités, ont spolié le peuple de son génie pour mieux l’asservir. Le livre est puissant, jamais naïf, hyper-documenté (notamment sur le contexte anglo-saxon, mal connu en France), et superbement édité par l’Échappée.

Cuervo (AL 95)

• Clifford D. Connor, Histoire populaire des sciences, L’Echappée, 2011, 560 pages, 28 euros.

 
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