Immigration à Mayotte : Héritage colonial et politiques d’exception




Depuis 1995 la France a engagé à Mayotte une politique de fermeture des frontières, dont les conséquences sont la violation du droit international, ainsi qu’une situation coûtant la vie à de nombreuses personnes.

L’instauration d’un visa pour la circulation entre les îles de l’archipel des Comores a constitué le point de départ d’une politique visant notamment à légitimer la présence française sur le territoire de Mayotte. Le visa dit Balladur, alors premier ministre (le ministre de l’intérieur était Charles Pasqua), toujours en vigueur, a coûté la vie à pas moins de 10 000 personnes depuis sa mise en place.

Cette politique migratoire s’est renforcée dans les années 2000 avec une traque systématique des sans-papiers se traduisant par l’expulsion de 8 000 personnes en 2004 et de plus de 26 000 en 2010. Expulsion ? Pas vraiment aux yeux du droit international qui reconnaît Mayotte comme un territoire de l’archipel des Comores. Aussi s’agit-il bien plus de déplacement forcé de populations, étant donné que Mayotte est toujours considérée pour l’Onu, l’OUA ou encore la Ligue arabe comme territoire comorien. Parmi les reconduites de 2006, le préfet de Mayotte de l’époque se réjouissait de comptabiliser pas moins de 6 000 mineurs, en dépit des législations internationales censées protéger les mineurs des mesures de reconduite.

[*Un CRA inhumain et illégal*]

Mais cette machine à expulser ne serait pas efficace sans les moyens mis en œuvre pour en assurer le fonctionnement, au premier rang desquels le centre de rétention administrative (CRA). Un centre particulier puisque son existence même est obscure. Ce lieu ne fait pas partie des « lots » que constituent les CRA de France (Dom et Tom compris). Il n’y a dès lors aucune possibilité pour les associations telles que la Cimade d’y intervenir de la même manière que dans un CRA normal. Aucun crédit n’est alloué pour une éventuelle intervention en faveur des droits des étrangers, l’assistance à l’intérieur du CRA reposant exclusivement sur des bénévoles d’association. De plus, la législation concernant ce CRA est dérogatoire et spécifique à Mayotte. Compte tenu des délais de reconduite, ce centre, en surcapacité permanente, ne dispose d’aucun équipement permettant une rétention digne si tant est qu’elle puisse l’être. Il fait également office de zone d’attente puisque cette dernière n’existe que sur le papier de l’Ordonnance de Mayotte, sans qu’aucune infrastructure ne soit mise en place. L’objectif de ce CRA, c’est donc de répondre à la politique du chiffre, au mépris de toute dignité. Il y a quelques années les agents de la police aux frontières allaient même jusqu’à inscrire les numéros des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière sur les bras des retenus au feutre indélébile !

[*Le double jeu de l’Etat comorien*]

Cette politique ne serait pas si efficace sans la complicité, il faut bien l’avouer, de l’État comorien et plus particulièrement du gouvernement anjouanais qui accepte massivement les reconduits sur son territoire. La part de responsabilité des Comores dans ce drame est indéniable. C’est une affaire à peine voilée, qui permet bien souvent au gouvernement comorien d’assurer le paiement de ses fonctionnaires de police. Cette participation peut aussi se monnayer moyennant des petits cadeaux de l’Etat français, tels que la suppression d’une partie de la dette des Comores vis-à-vis de la France par le biais des politiques pour les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).

Les demandeurs et demandeuses d’asile payent un lourd tribut dans cette lutte contre les migrants. Depuis les années 2000 une part croissante de migrantes et de migrants arrive sur l’île pour déposer une demande d’asile, même si cette proportion n’a pour autant rien d’exceptionnel comparée à d’autres départements métropolitains.

[*Le drame des réfugié-e-s*]

Originaires des Comores et de Madagascar, et de plus en plus souvent d’Afrique de l’Est, plus exactement des Grands Lacs, fuyant l’instabilité de la région en proie aux intérêts sauvages des grandes multinationales qui la déstabilisent afin de s’accaparer les richesses locales, ces demandeurs d’asile arrivent en nombre à Mayotte. Pourquoi Mayotte ? Nul doute que la politique européenne d’externalisation des politiques migratoires qui consiste notamment à utiliser des États « tampons » afin qu’ils gèrent les flux migratoires, y a joué pour beaucoup. Une fois arrivés sur le territoire mahorais, aucune exception législative n’explique l’absence de prise en charge de ces demandeurs d’asile, mais la volonté politique française ne semble pas prompte à respecter le droit d’asile de ce côté-ci du globe. L’optique française est de mener la vie dure à ces demandeurs d’asile pour lesquels ni logement ni aides sociales (Allocation temporaire d’attente par exemple) ne sont prévus. Obsédée par le leitmotiv de l’appel d’air, la France refuse de créer des conditions d’accueil pour ces exilé-e-s, conditions pourtant obligatoires au regard des conventions internationales dont la France est signataire.

Mayotte, poussière d’empire colonial, est considérée par les autorités françaises comme une porte d’entrée de l’Europe, devenant un terrible symbole à l’instar de Ceuta et Melilla au Maroc, de l’inhumanité et de la cruauté des politiques de lutte contre l’immigration adoptées par bon nombre de pays du Nord. Mais ces politiques d’exception visant ces territoires contestés, héritage des empires coloniaux, ne sont-elles pas là pour tenter de légitimer cette continuité coloniale ?

Tibo

 
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