Pompiers d’Austerlitz : « La SNCF ferme les yeux sur la sécurité de la gare »




À Austerlitz, à Paris, une grève des pompiers a commencé début octobre. À l’heure où nous bouclons, la direction refuse toujours de négocier, mais les grévistes ne lâchent pas. Entretien avec Abdel, syndicaliste CGT.

Alternative libertaire : Comment la grève a-t-elle commencé ?

Abdel : En fait c’est notre troisième mouvement. Le premier a commencé lors de la reprise par la société Lancry, car nous perdions déjà entre 200 et 300 euros sur nos salaires, notamment avec le non-paiement des heures supplémentaires. Pour tout ce qui concerne le matériel, le fonctionnement opérationnel, la société Lancry n’intervient pas, étant donné qu’elle ne sait pas comment des agents de sécurité incendie travaillent.

Ça fait presque un an et demi qu’on travaille avec cette société, rien n’avance. Pour certains, on a toujours pas de rangers, de vêtements de protection, etc., donc on estime que la sécurité des intervenants est mise en cause et on a décidé de couper court en lançant une grève. On revendique le paiement des heures supplémentaires, dans un premier temps, et l’augmentation des coefficients. Car il faut savoir que la SNCF exige des sapeurs-pompiers encore en activité avec une expérience de 5 ans, donc je te laisse imaginer que en 5 ans chez les pompiers on a le temps de passer beaucoup de formations. La SNCF sous-traite auprès d’une société de sécurité incendie, et au final c’est les impôts des gens qui paient nos formations et non la SNCF.

En face, comment la SNCF et Lancry répondent-ils à ça ?

Abdel : Lancry veut étouffer le mécontentement afin d’éviter les vagues auprès du donneur d’ordres [la SNCF, ndlr], sachant que ce dernier est en mesure à tout moment de dénoncer le contrat. Lancry nous occulte complètement. On a tenté des négociations, avec l’inspectrice du travail du XIIIe, Lancry s’est engagée à faire bouger les choses au niveau du salaire. Mais ils ont exporté le problème, c’est-à-dire qu’ils nous attaquent sur nos horaires. On travaille en système de gardes de 24 heures, Lancry veut nous passer à 12 heures. C’est une grosse problématique pour nous, puisqu’on n’aura plus la possibilité d’exercer notre activité de sapeur-pompiers.

La SNCF a signifié très clairement qu’elle ne voulait pas rentrer dans un conflit qui ne la concernait pas. La première semaine de grève nous avons investi les locaux, car nous estimions qu’ils étaient tenus de manière dangereuse. Il y a eu un début d’accident vasculaire cérébral, ce qui nécessite des gestes de secours rapides, avec du matériel adapté. Les agents qui nous remplaçaient sont pour la plupart des cadres de Lancry, ils n’ont pas pris le matériel, ne se sont même pas déplacés sur les lieux. Après notre intervention, le donneur d’ordre a envoyé une centaine de CRS pour nous déloger. Des huissiers viennent aussi pour constater des dégradations dont nous ne sommes pas responsables. La SNCF intervient pour porter des éléments à notre encontre mais ferme parallèlement les yeux sur la sécurité de la gare. Aujourd’hui ce sont des gens qui ne sont pas formés qui font le travail. Le Comité hygiène et conditions de travail (CHSCT) de la gare s’est réuni à plusieurs reprises depuis sept semaines pour demander les diplômes de ces personnes. Aucune réponse à ce jour.

Nous gérons tout le système de sécurité incendie de la gare. Ça comprend le désenfumage des locaux, le compartimentage et l’évacuation générale, ainsi que les interventions sanitaires (du petit malaise à la personne sous le train). Il y a deux semaines, une intervention a été demandée pour un malaise cardiaque. Nos remplaçants se sont déplacés avec du matériel non adapté, et ils n’ont même pas trouvé le poste de police, un agent a dû aller à leur rencontre. Une fois sur les lieux, ils ont regardé la victime et ont demandé à l’agent de police ce qu’il fallait faire. Autre chose, durant deux semaines, les moteurs de désenfumage du restaurant de la gare souterraine étaient coupés...

Sur le plan pratique, comment se déroule la grève ?

Abdel : À plusieurs reprises nous avons tenté d’intervenir dans les bureaux de la direction. On a fait pas mal de rassemblements, une conférence de presse, des manifestations avec les collègues cheminots... Nous faisons des rassemblements avec distribution de sandwichs et demande de participation. On est plus que bien soutenus, la CGT n’a plus son nom à refaire, on a la chance d’avoir sur site des gens de l’Union locale qui sont très performants et qui nous aident pas mal. On a pu s’organiser avec le syndicat cheminot. Il était hors de question qu’on se syndique avec le syndicat CGT de la société Lancry, étant donné qu’ils ont déjà démontré qu’ils n’étaient pas du tout avec les salariés, mais plutôt avec la direction. Le responsable avait, sans nous connaître, signé un accord afin que Lancry cesse de nous payer nos heures supplémentaires et passe à un système de modulation. Chez nous, il y a beaucoup d’heures supplémentaires, donc on y perd pas mal. L’UL a réagi rapidement, en lui demandant de rendre son mandat. C’est maintenant un collègue gréviste qui l’a repris.

On tient le piquet de grève jour et nuit. Des collègues dorment à tour de rôle dans les tentes, à trois minimum pour des raisons de sécurité. On a des affaires personnelles à l’intérieur du poste, on nous interdit strictement l’accès à ces affaires. Un soir, deux collègues, en passant par derrière pour se rendre sur des toilettes dans d’autres locaux, ont vu la porte du poste ouverte. Ils se sont donc permis d’entrer récupérer leurs affaires. En ressortant, ils se sont fait attraper par un agent non-gréviste, probablement de l’encadrement de Lancry. Les collègues se sont débattus, une seconde personne est intervenue, et a balancé du gaz lacrymogène sur les yeux des collègues, qui sont ressortis en toussant et vomissant. En repartant, un remplaçant a donné un coup de pied à un des collègues qui est tombé sur le coude et a été absent trois jours pour raisons médicales. Un dépôt de plainte a été effectué.

Et comment voyez-vous la suite ?

Abdel : On a le sentiment que la direction de Lancry essaye de gagner du temps, celle de la SNCF continue la politique de l’autruche, et refuse catégoriquement de résilier le contrat. Ce serait pour nous une grande avancée si Lancry pouvait partir. Maintenant d’un point de vue moral, on est plutôt bon, on a l’habitude des épreuves difficiles, ça va être très dur de nous décourager. Nous espérons que ça va se finir assez rapidement, avec des négociations intéressantes pour nous et non pour Lancry. On continuera tant qu’on n’aura pas de nouvelles, sachant que chacun finira par devoir jouer son jeu. Comme on dit, quand il ne se passe rien tout va bien, mais quand il y a un mort, tout le monde sort le parapluie pour se couvrir. J’espère qu’on n’en arrivera pas là.

Propos recueillis par François Dalemer (AL Paris sud)

 
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