Chroniques du Travail Aliéné : « Restriction sur le gaspillage de couches… »




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

Je suis agent de service hospitalier depuis plus de 18 ans. Je m’occupe de personnes âgées dans une maison de retraite depuis plus de 10 ans. J’aime ce métier. Mais j’ai commencé à avoir des problèmes de santé à cause d’une malformation cardiaque voici quelques années. Le déclenchement des malaises a commencé avec la réorganisation du travail qui nous avait obligées à faire de longues journées de travail effectif de 10 heures. Les pauses n’étaient pas toujours faciles à prendre et, de toute façon, elles n’étaient pas suffisantes pour récupérer la fatigue que ça représente de soulever les vieillards. J’ai été opérée. Et là-dessus s’est ajoutée une complication survenue en faisant des efforts. Parce que, oui, j’avais repris le même travail. Résultat, je suis interdite d’efforts définitivement. D’ailleurs, je suis en invalidité et je ne peux plus travailler à temps plein. Je travaille à mi-temps. Alors on m’a mise à faire du ménage et à servir les repas. Je m’en suis accommodée parce que je voyais toujours mes personnes âgées, je les faisais manger, j’aidais les plus valides à aller aux toilettes. J’avais quand même des contacts avec eux. Mais un beau jour, le directeur est parti et l’établissement a été racheté par un groupe coté en bourse. Et alors on a bien vu qu’il fallait faire des économies sur tout. D’abord sur les couches car c’est ce qui est le plus couramment utilisé et jeté dans une maison de retraite. Restrictions sur le « gaspillage » de couches comme ils disent... Puis les normes qualité sont arrivées. Chacun à sa place en fonction des ses « compétences » caractérisées par les diplômes, pas par le savoir faire. Je suis donc devenue une « technicienne bio ». Une façon « propre » de parler d’une femme de ménage. Puis, depuis peu, on m’a déguisée en serveuse avec chemisier blanc et pantalon noir pour servir un peu les personnes âgées mais avant tout les familles dans le petit salon. C’est primordial disent-ils. Qu’ils aient une impression de luxe, les « clients » ! J’ai l’interdiction de m’occuper des résidents. Je n’en peux plus de faire ce travail de vitrine.

J’ai 49 ans et vu mon état de santé, il n’est pas envisageable d’essayer de trouver un emploi dans une autre maison de retraite, je serais jetée. J’ai mes deux enfants à la maison. Il faut que j’y pense, même si leur père m’aide un peu financièrement.

Alors, d’accord, je soigne les actionnaires, mais j’ai décidé, en douce, de m’occuper un peu des personnes âgées dès que je le pourrai, que j’aurai un espace pour ça, sans qu’on me voie. C’est un vrai projet ça !

 
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