Mémoire : Le 17 octobre 1961 au cinéma




La commémoration du massacre des Algériens et Algériennes a été l’occasion de plusieurs manifestations, rassemblements, publications, rééditions. Et le cinéma n’aura pas été en reste dans cette volonté de reconstitution politique d’une mémoire arrachée à la nuit noire de l’amnésie d’État.

Entre la ressortie de Octobre à Paris (1962) de Jacques Panijel et la sortie de Ici, on noie les Algériens. 17 octobre 1961 de Yasmina Adi, c’est un espace de réflexion mémorielle qui est proposé. Ces deux films sont à la fois différents par le contexte de leur réalisation, et complémentaires par leur propos.

Une préface réalisée par Mehdi Lallaoui (de l’association Au nom de la mémoire) restitue déjà les enjeux de Octobre à Paris, en même temps que les personnes sollicitées pour cette présentation (Daniel Mermet, Gilles Manceron, Jean-Luc Einaudi) racontent l’histoire compliquée d’un film militant victime de la censure gaulliste. Il a fallu une grève de la faim du cinéaste René Vautier en 1973 pour lever le visa de censure, et gagner dans la foulée, l’abrogation de la censure politique concernant les œuvres cinématographiques. Jacques Panijel ancien résistant du maquis du Vercors, militant au comité Maurice-Audin, et le journal anticolonialiste Vérité-Liberté, eurent l’idée de réaliser un film sur les massacres du 17 octobre 1961 dès l’annonce des atrocités commises. D’octobre 1961 à mars 1962 (accords d’Evian mettant fin à la guerre d’indépendance), il tourna dans une totale clandestinité un documentaire autant préoccupé par la parole des Algérien-ne-s que par les lieux de leur énonciation. Une émouvante mosaïque de mots et de visages constitue ainsi une subjectivité dont l’expression collective, plantée au cœur de la Folie dans le bidonville de Nanterre, donne forme à l’invisible des vexations, blessures et tortures quotidiennement vécues par les « Français-e-s musulman-e-s d’Algérie » d’alors. La reconstitution cinématographique se passe sous la surveillance du FLN. Digne de l’école soviétique elle parvient à dynamiser les rares images (d’Elie Kagan) disponibles concernant la répression policière. Elle commence avec la manifestation contre le couvre-feu raciste de Maurice Papon et aboutit aux neuf morts du métro Charonne le 8 février 1962. Octobre à Paris parvient à dépasser la censure étatique autant que l’encadrement du FLN pour affirmer l’universalité des victimes (avant-hier le Juif, hier l’Algérien, aujourd’hui le Français) du régime d’exception qu’il soit républicain ou vichyste.

Ici, on noie les Algériens de Yasmina Adi représenterait alors un idéal contrepoint actuel au film de Jacques Panijel : parce qu’il donne la parole aux victimes cinquante ans après les faits, et qu’il reconstitue à partir d’un montage d’images documentaires, l’appareil répressif qui s’est alors abattu sur les manifestant-e-s pacifiques. Alors que Octobre à Paris brûle de l’actualité des massacres de 1961, Ici, on noie les Algériens chercherait plutôt à remuer les nappes de cette Seine – moderne Léthé – pour en faire remonter le souvenir des noyé-e-s d’hier. Le film de Yasmina Adi a beau jouir de louables efforts de documentation, (comme son précédent film L’Autre 8 Mai 45. Aux origines de la guerre d’Algérie (2008) qui rendait compte des massacres dans le Constantinois), c’est l’analyse politique des raisons objectives de l’amnésie nationale qui lui fait défaut. Il aurait peut-être contribué à mieux expliquer le poids du racisme postcolonial dans la société française contemporaine.

Franz B. (AL 93)

 
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